Cour d’assises de Paris
Arrêt criminel du 14 septembre 2018 (N°18/0024)
Feuille de motivation
(article 365-1 du code de procédure pénale)
I- Sur les coups mortels
Le 5 juin 2013, Clément MERIC, étudiant de 18 ans, a trouvé la mort à la suite de coups reçus au niveau du visage.
L’autopsie effectuée le 7 juin 2013, conclut à la mort de Clément MERIC par traumatismes crâniens faciaux avec hémorragie méningée et œdème cérébral.
Esteban MORILLO, 20 ans, interpellé dès le lendemain des faits, a reconnu, dès sa première audition en garde-à-vue, avoir porté deux coups de poing au visage de Clément MERIC, entraînant la chute de ce dernier. Il a maintenu cette version tout au long de l’information judiciaire et jusqu’à l’audience de la cour d’assises.
Il expliquait avoir été amené à rejoindre deux de ses amis à une vente organisée dans un showroom de la rue Caumartin à Paris 9ème, suite à l’appel téléphonique, d’un de ses amis, Samuel DUFOUR, selon lequel des jeunes présents à cette vente les avaient pris à partie en les menaçant de les attendre à dix en bas de l’immeuble. Une fois sur place, Esteban MORILLO avait retrouvé Samuel DUFOUR, Alexandre EYRAUD et Lydia DA FONSECA qui s’en étaient remis aux vigiles de la vente pour leur faire part d’un sentiment de peur occasionné par les menaces du groupe adverse constitué de quatre ou cinq personnes, qui, selon eux, les attendaient devant l’église Saint-Louis d’Antin situé sur la gauche par rapport au showroom, soit à une trentaine de mètres.
Contrairement aux recommandations du vigile de quitter l’immeuble de la vente, par la droite, Esteban MORILLO et Samuel DUFOUR, suivis d’Alexandre EYRAUD, partaient du côté opposé de la rue Caumartin, ce qui les amenaient à se trouver confrontés au groupe de quatre jeunes, Clément MERIC, M.B., S.D. et A.B., et à échanger des coups.
Il ressort des éléments recueillis au cours de l’information judiciaire et débattus contradictoirement à l’audience que cet échange de coups s’est déroulé de la manière suivante : sans qu’il ait été possible de déterminer l’auteur du premier coup, il apparaît constant qu’un échange de coups a opposé Samuel DUFOUR et M.B. tandis qu’Esteban MORILLO frappait à deux reprises Clément MERIC au niveau du visage, entraînant la chute et le décès de celui-ci.
Cette scène, d’une durée de sept secondes, est objectivée par les images extraites de la vidéo-surveillance de la caméra située rue Caumartin.
Les versions d’Esteban MORILLO et Samuel DUFOUR, aux termes desquelles ils soutenaient que la rencontre avec le groupe de Clément MERIC n’était pas désirée au motif qu’ils cherchaient à se diriger vers le métro le plus proche, se heurtent aux éléments suivants :
1°) Les appels à des renforts
– dès les premiers échanges verbaux à l’intérieur même du showroom, les investigations téléphoniques ont permis d’établir que dès 18h00 Samuel DUFOUR a appelé Esteban MORILLO en lui demandant de se rendre sur place suite à une difficulté rencontrée ; à partir de là, Esteban MORILLO relaye cet appel à sa compagne Katia VELOSO laquelle se chargera d’en informer plusieurs personnes en leur faisant part d’un danger. De son côté, Esteban MORILLO a averti Coralie WESOLOWSKI pour solliciter de l’aide. Les appels seront suivis d’effets dès lors qu’au moment de la confrontation entre les deux groupes seront présents Katia VELOSO, Stéphane CALZAGHE et Simon BRUNELIERE.
– de la même façon et dès 18h02, Lydia DA FONSECA enverra un SMS à un ami, ainsi rédigé "on est dans une vente, Fred Perry, résultat, il y a dix rouges qui nous attendent pour charger. LOl" suivi d’un second SMS à 18h03 au même destinataire "on est trois mais on appelle du monde".
2°) La présence d’armes :
– Samuel DUFOUR et Esteban MORILLO, tous deux munis de poings américains, se dirigent vers le groupe de Clément MERIC adossé contre le mur de l’église avant de faire usage de leurs armes ; les éléments qui ont convaincu la cour et le jury sont les suivants :
– M.B. avait signalé au vigile présent dans le local de la vente la présence d’un poing américain dans les effets personnels du groupe de Samuel DUFOUR, avant même l’arrivée d’Esteban MORILLO ; ce signalement, opéré bien avant la commission des faits, a été confirmé pour la première fois à l’audience par le vigile ;
– Avant de quitter l’immeuble de la vente, alors que le groupe, constitué de Samuel DUFOUR, Alexandre EYRAUD, Esteban MORILLO et Lydia DA FONSECA, attendait sous le porche, un témoin en la personne de Matthieu BEGUIN a déclaré avoir vu Esteban MORILLO enfiler un poing américain ;
– la présence de cette arme est attestée par Lydia DA FONSECA qui a déclaré que Esteban MORILLO lui a remis un poing américain ; elle déclare également que notamment Samuel DUFOUR s’est délesté de ses affaires personnelles.
– Ce témoignage est enrichi par ceux de passants se trouvant dans la rue Caumartin dénués de tout lien avec l’un ou l’autre groupe : Gaëlle DUCLERCQ, Antoine GALEWSKI, Patrice HOFECKER. Ces divers éléments doivent être rapprochés de la constance des déclarations de M.B. selon lesquelles tant Samuel DUFOUR que Esteban MORILLO étaient munis de poings américains.
– Dans ses premières déclarations enregistrées lors de sa garde-à-vue Esteban MORILLO a déclaré que Samuel DUFOUR avait frappé avec un poing américain.
– De son côté, le soir des faits à 22h13, Samuel DUFOUR a adressé à un ami, les SMS suivants : "Salut j’ai frappé avec ton poing américain" suivi à 22h38 "ba, il est parti à l’hôpital" et à 22h41 "5 contre 3, on les a défoncés" ; après avoir contesté au cours de l’information judiciaire être l’auteur de ces SMS, à l’audience Samuel DUFOUR a reconnu les avoir adressés en les mettant sur le compte de sa tendance à s’attribuer des faits qu’il n’avait pas commis et de sa vantardise.
L’ensemble de ces éléments que l’on retrouve à chaque étape du déroulé des faits à partir du premier contact entre les deux groupes dans la salle de vente, puis sous le porche de l’immeuble, jusqu’à la scène de violences y compris postérieurement à celles-ci, permet de déterminer la présence de deux armes détenues respectivement par Samuel DUFOUR et Esteban MORILLO.
– les conclusions des expertises, si elles ne suffisent pas en soi à caractériser l’existence de blessures provoquées par des poings américains, ne les excluent pas pour autant.
3°) L’initiative des violences
La lecture des images de la vidéo-surveillance permet de retenir que Samuel DUFOUR, Esteban MORILLO et Alexandre EYRAUD se sont dirigés vers le groupe de Clément MERIC en se portant au devant d’eux sans que les images démontrent le déplacement du groupe de Clément MERIC vers le groupe adverse.
Ainsi, l’appel à des renforts, la préparation des intéressés, la possession d’armes et l’initiative des violences traduisent une volonté délibérée de rechercher l’agression avec le groupe adverse.
4°) La scène de violences
Esteban MORILLO reconnaît être l’auteur de deux coups au visage de Clément MERIC à l’origine de la chute et du décès de ce dernier.
Au vu de ce qui précède, la cour et le jury ont été convaincus de l’usage d’un poing américain.
Par son action, en empêchant toute intervention éventuelle, Samuel DUFOUR a facilité la commission des violences mortelles sur la personne de Clément MERIC.
II- Sur les violences volontaires ayant entraîné une ITT,inférieure à 8 jours sur M.B. (7 jours) et sur S.D. (3 jours) avec arme et réunion
– M.B. a toujours déclaré avoir reçu des coups de Samuel DUFOUR, en expliquant qu’il est parvenu à s’en protéger pour n’être blessé qu’au niveau d’un avant-bras ;
– Samuel DUFOUR reconnaît être l’auteur des violences tout en contestant l’usage d’un poing américain ; le certificat médical initial conclut à l’existence de deux hématomes, justifiant une ITT de 7 jours ;
– il ressort des éléments développés plus haut que ces coups ont été portés à l’aide d’un poing américain et par l’action conjuguée de Samuel DUFOUR et Esteban MORILLO ;
– en revanche, s’agissant d’Alexandre EYRAUD il apparaît au vu des déclarations de M.B. et de S.D., de la vidéo-surveillance, de ses propres déclarations, qu’il n’a pas participé à ces violences ;
– S.D. a déclaré avoir reçu des violences au niveau de son visage de la part d’Esteban MORILLO ; le certificat médical délivré le lendemain des faits décrit un œdème de contusion au niveau de la lèvre inférieure justifiant une ITT de trois jours ;
– Esteban MORILLO reconnaît être l’auteur de ces violences facilitées par la présence à proximité immédiate de Samuel DUFOUR, ce qui a conduit la cour et le jury à retenir les circonstances aggravantes de la présence d’une arme et de la réunion.
En revanche, s’agissant d’Alexandre EYRAUD, il ressort de ses propres déclarations, des déclarations de S.D. ainsi que de la vidéo-surveillance, qu’il n’a pas participé à ces violences.
III - Sur les violences sur A.B.
Il résulte des éléments de la procédure y compris de ses propres déclarations qu’A.B. n’a pas reçu de coup et qu’en conséquence aucun des accusés ne peut être retenu dans les liens de la prévention.
Sur les peines :
Concernant Esteban MORILLO
La gravité des faits, ayant occasionné la mort d’un jeune homme de 18 ans, à la suite de coups portés à l’aide d’un poing américain et en réunion, doit être prise en compte pour le prononcé d’une peine sévère. La peine de onze années de réclusion criminelle a été retenue en raison de l’implication propre d’Esteban MORILLO, ce dernier n’ayant jamais cherché à éviter la confrontation et étant l’auteur direct du coup de poing porté à Clément MERIC.
Concernant Samuel DUFOUR :
La gravité des faits, ayant occasionné la mort d’un jeune homme de 18 ans, à la suite de coups portés à l’aide d’un poing américain et en réunion, doit être prise en compte pour le prononcé d’une peine sévère. La peine de 7 années d’emprisonnement est apparue à la cour et au jury adaptée au rôle de Samuel DUFOUR dès lors que, si ce dernier n’a pas porté de coup direct sur Clément MERIC, son implication première dès la recherche de renforts puis son action en facilitant l’action criminelle, sans davantage chercher à éviter la confrontation, le justifient.
Fait le 14 septembre 2018
Le premier juré La présidente de la cour d’assises