Procès des meurtriers de ClémentJour 4 (1ère partie) : côté nazi, des poings américains et la volonté d’en découdre
Tout au long de ce quatrième jour du procès d’Esteban Morillo et de Samuel Dufour, les deux responsables de la mort de Clément Méric, il a été question de poing américain, dont plusieurs témoins avaient déjà parlé la veille, de la décision volontaire des néonazis d’aller au contact et de leur discussion avec Ayoub dans le bar de ce dernier.
Les auditions ont commencé avec celle de Lydia Da Fonseca, petite amie d’Alexandre Eyraud (qui fait partie du trio des agresseurs) et présente sur les lieux, et dont le moins qu’on puisse dire est que les idées n’ont pas vraiment changé depuis.
Da Fonseca était en effet présente à la vente de vêtements où le premier contact entre les accusés et les victimes a eu lieu, puisqu’elle raconte comment elle s’amusait à faire faire des saluts nazis aux mannequins dans la vente, « une blague », selon elle.
Mise au poing (américain)
Mais c’est surtout à propos des poings américains utilisés ce jour-là qu’elle est interrogée. D’abord, elle accuse « les médias » et la juge d’instruction de lui avoir fait parler du poing américain de Morillo qu’elle a déclaré devant la juge d’instruction avoir mis dans le sac de Dufour (tandis qu’on peut légitimement penser au contraire qu’elle le lui a remis), car il s’agirait finalement d’un antivol de moto. Mais lorsqu’un avocat lui demande si quand on laisse sa moto quelque part, on part avec l’antivol, elle est incapable de répondre…
Vient ensuite le tour de Katia Veloso, la petite amie de Morillo à l’époque, qui raconte que ce dernier, quand elle l’a connu, sortait habituellement armé d’un poing américain, « pour se défendre ». Comme cela ne lui plaisait pas, elle assure que depuis, il avait changé ses habitudes… Mais Morillo en possède tout de même toujours au moins un qui a été retrouvé à leur domicile commun, ainsi qu’un autre, rose en PVC, dont elle dit aujourd’hui qu’il lui appartenait à elle : un peu bizarre, puisqu’elle voulait justement qu’il n’en ait plus !
Quoiqu’il en soit, le témoin suivant, un homme qui faisait la manche sur les marches de l’église Saint-Louis d’Antin, à moins de cinq mètres du lieu du drame, est formel : il a bien vu Morillo équipé d’un poing américain, qu’il décrit assez précisément. Triomphe, avocat de Morillo, tente de le discréditer en glosant sans convaincre sur la forme de ce poing américain tandis qu’Etrillard, avocat de Dufour, essaye de lui faire dire qu’il a été manipulé par les médias, mais rien n’y fait : le témoin reste catégorique sur la présence d’un poing américain dans la main de celui qui est directement responsable de la mort de Clément.
C’est ensuite Alexandre Eyraud, dont l’un des tatouages est un 88 (pour « Heil Hitler ») dans… un poing américain, qui se présente à la barre. Il a été acquitté en première instance, n’ayant porté aucun coup ce jour-là. Dans son récit des faits, il réussit l’exploit de ne jamais mentionner le coup porté à Clément, ni même son décès.
Quand l’extrême droite choisit la gauche
Da Fonseca avait expliqué le matin que lors de leur sortie de la vente, elle avait reçu la consigne de prendre par la droite et donc de s’éloigner des antifas (« moi je suis une femme, on n’a pas l’habitude de se battre »), tandis que les autres auraient pris à gauche « pour aller au métro », et pour ne pas avoir les antifas « dans le dos » en quittant les lieux.
Une explication fumeuse reprise par Eyraud, mais qui sera mise en pièce par l’avocat général : en effet, une fois le groupe des antifascistes dépassé (pour peu que cela ait été leur intention), les néonazis auraient fatalement fini par les avoir dans le dos…
Da Fonseca ainsi que les avocats de la défense tentent de justifier ce choix incohérent par « la fierté » de ne pas céder la place malgré « la peur » que leur inspire les quatre jeunes antifas (pourtant décrits comme « pas bien costauds » selon les dires d’un vigile cités par Da Fonseca), et la volonté de protéger la seule fille du groupe. Triomphe se lance même dans une longue tirade sur la fragilité bien connue des femmes, sur laquelle Da Fonseca renchérit en déclarant : « de notre côté on défonce pas les femmes, mais de l’autre côté ça les dérange pas », une déclaration étrange pour des gens qui disent ne pas avoir l’habitude de se battre.
Quant à Eyraud, il finira par admettre, quand un avocat des parties civiles lui demande si lui et ses amis sont allés vers le groupe de Clément : « ils étaient sur la gauche, on est allé sur la gauche ». De toute façon, tous les témoins de la scène déjà entendus aujourd’hui ou hier avaient confirmé que c’est bien Morillo, Dufour et Eyraud qui sont allés au contact.
Suis-je bien chez ce cher Serge ?
Da Fonseca a aussi omis dans ses premières déclarations s’être rendue après les faits dans le bar de Serge "Batskin" Ayoub et à l’audience, elle s’efforce de ne pas répondre sur le rôle qu’a joué le leader de Troisième voie dans cette histoire. Veloso admet que lors de leur premier arrêt dans un café, le Mogador, ils se mettent d’accord pour aller au Local, mais elle ne se souvient plus qui en a l’idée. Nous avions présenté dans un précédent article les différents échanges entre les néonazis et leur chef Ayoub dans la vente privée, et le rôle joué par ce dernier dans les échanges. À l’audience, personne ne semble se rappeler avoir pris la décision de se rendre au Local : peut-être tout simplement parce que la décision ne leur a pas appartenu.
Pour Eyraud, c’est simple, au Local, « personne n’a parlé avec M. Ayoub ». Morillo, dans son témoignage de mardi, prétend, durant les trois ans où il fréquente régulièrement ce bar, ne jamais lui avoir vraiment parlé, tout juste "bonjour, au revoir".
Alors que Morillo, dès le premier jour du procès, avait précisé que le bar était minuscule, puisque selon lui il n’était pas possible d’y organiser des conférences (alors qu’il y en avait en réalité régulièrement), l’espace semble brusquement s’être dilaté de telle façon qu’il devient possible d’y tenir une conversation totalement privée, sans adresser la parole à celui avec lequel ils ont passé la fin de la journée au téléphone. De la même façon, personne ne se souvient à quelle heure ils ont quitté le bar : 20h ? 23h ? Les témoignages divergent. Ce qu’on sait, c’est que Morillo reçoit un SMS de Samuel Dufour à 23h15 :« Demande à Serge si je doit nettoyer le bomber il est plein de sang mais c le mien. »
Serge Ayoub est attendu à la barre demain après-midi : la police qui est allé le chercher à sa dernière adresse connue du côté de Meudon, a constaté qu’il n’habite plus à l’adresse indiquée depuis six ou sept ans, une information qui était donc déjà erronée en première instance. Le premier jour, le président du tribunal avait même évoqué une possible incarcération de Batskin en Suisse : une information qui nous avait surpris, puisque moins d’une semaine auparavant, on avait lu dans la presse locale une interview d’Ayoub à propos de tags néonazis et homophobes faits à proximité de son local.
Un client, peut-être ? Malgré l’évidence, il ne le pense pas, et préfère parler d’« une volonté de [lui] nuire », sans plus de précision.
Par ailleurs, le Gremium France fondé par Ayoub et ses amis vient tout juste de lancer son site internet, un nouveau chapitre Gremium s’est créé à Amiens, dont le chef, Werner Riegert, faisait partie du groupe néonazi Picard Crew aujourd’hui disparu : une actualité plutôt chargée qui contraste avec cette subite incarcération supposée de leur président, sur laquelle il serait bien étonnant que rien n’ait fuité… Quoiqu’il en soit, nous aurons l’occasion de revenir sur le parcours d’Ayoub à l’occasion de son témoignage demain lundi.
La Horde
PS : dans une première version de l’article, nous avons par erreur publié une photo d’Ayoub avec un jeune au crâne rasé que nous avons désigné comme Esteban Morillo alors qu’il s’agissait en réalité de Renaud Delagarde. Toutes nos excuses aux lectrices et lecteurs.
À lire lundi : « Jour 4 (2e partie) : les antifas remettre les pendules à l’heure »