Le 13 novembre dernier, la revue Limite organisait un débat autour du thème « Osez le féminisme intégral ! ». Loin d’être un espace critique de la domination masculine, cette soirée fut l’occasion de réaffirmer le patriarcat et de nombreux poncifs sexistes, tout en rassemblant quelques pseudo intellectuels qui ont l’habitude de naviguer en eaux troubles, entre droite et extrême droite. La limite des 600 préventes ayant été atteinte, nos cathos réactionnaires jouaient à guichet fermé... Face à ce succès, la question est : comment en est-on arrivé à un tel cauchemar ? Et qui se cache derrière la revue Limite ?

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Le lancement de la revue Limite a eu lieu le 5 septembre 2015. Ce premier numéro a donné le ton avec un positionnement clair : une critique forte de l’immigration. Cette revue, comme beaucoup d’initiatives réactionnaires récentes, trouve sa filiation dans la Manif pour tous. Plus précisément, on pourrait dire qu’elle tente de théoriser ses intuitions.

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On retrouve aussi les « anciens » Jacques de Guillebon et Fabrice Hadjadj dans le conseil de rédaction. Les deux compères écrivaient déjà tous deux dans la revue Immédiatement au début des années 2000. Limite est donc née de la rencontre entre plusieurs générations et se positionne comme n’étant « ni de droite, ni de gauche ». Attardons nous un peu sur les intervenants récurrents de cette revue écolo-catho (mais comptant aussi des athées dans ses rangs) qui revendique 2000 abonnés.

Le directeur adjoint, Gaultier Bès de Berc, est l’un des co-fondateurs des Veilleurs en 2012 avec son épouse Marianne Durano (elle est aussi membre de la rédaction de Limite et est l’une des quatre intervenantes lors de la soirée). Ils vont d’ailleurs tous les deux, accompagnés d’Axel Noorgard Rokvam (leur acolyte des Veilleurs), écrire un livre qui sortira en juin 2014 et inspirera la revue : Nos limites : pour une écologie intégrale . Marianne va sortir un autre livre, Mon corps ne vous appartient pas ! en 2018. Bien que se référant à des auteurs de gauche comme Jacques Ellul ou Georges Orwell par exemple, on retrouve Gaultier Bès de Bercq expliquant son « écologie intégrale » à un colloque d’un cercle de l’Action Française en mai 2017. Il y intervient décontracté aux côtés de Guillaume de Premare (Ichtus), Charles de Meyer (Sos Chrétiens d’Orient), Gabrielle Cluzel (boulevard Voltaire) etc.

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Mais il n’en est pas à son coup d’essai quant à établir des alliances douteuses qui oscillent entre la droite et l’extrême droite. Ainsi, il est déjà intervenu sur Radio Courtoisie, sur TV Libertés (invité par Alain de Benoist), ou encore au Figaro Vox, interviewé par... Eugénie Bastié, elle-même rédactrice (ou rédacteur, selon elle !) en chef politique de la revue Limite . Bref, Gaultier est un habitué des médias réacs. Autant dire que cette ligne « ni de droite, ni de gauche » inscrit systématiquement ce genre de personnages à droite. D’ailleurs, les tentatives d’entrisme de Gaultier et de quelques autres veilleurs à Nantes en 2013 (vis à vis de la lutte contre l’aéroport de Notre-Dame des Landes) ou à Paris en 2016 (sur la place de la République dans le cadre de Nuit Debout ) ont été des échecs cuisants.

Le directeur de la rédaction de Limite n’est pas non plus un inconnu. Paul Picarreta a fait ses armes dans Causeur où il a écrit de nombreux articles et on l’a retrouvé récemment dans la revue de l’Avant-Garde, L’incorrect . Pas étonnant puisqu’il a participé à l’université d’été de l’Avant-Garde dont nous avions parlé dans un précédent article.

Revenons en à Eugénie Bastié, rédactrice en chef politique de la revue. Elle est aussi et surtout l’égérie du flanc réac des médias bourgeois : Figaro vox (où elle tente de réhabiliter l’Action française), chaînes d’info, radio… Elle vient en général y parler de ce qu’elle tient en horreur : le féminisme, l’immigration, l’islam... C’est à Causeur qu’elle a roulé sa bosse, ce qui pourrait faire d’elle une sorte de fille spirituelle d’Élisabeth Lévy. Le seul bouquin qu’elle ait écrit ( Adieu mademoiselle, publié en 2016) porte évidemment sur les méfaits du féminisme.

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Eugénie Bastié et le chanteur nationaliste Jean-Pax Méfret

Quant à Natacha Polony, c’est plutôt autour du sujet de l’éducation qu’elle a fait connaître sa pensée. Mais depuis quelques années et bien qu’athée, elle semble s’être convertie à « l’écologie intégrale » de la revue Limite . C’est donc en tant que sympathisante qu’on la retrouve lors de cette soirée.

Maintenant, un mot sur Thérèse Hargot. Bien que ne revendiquant pas une posture politique (« les étiquettes ça m’énerve ! » dit-elle), elle n’en est pas moins une polémiste. On retrouve cette « sexologue » dans un grand nombre de médias, notamment pour y faire la promotion de son livre anti-porno (et aussi un peu anti-féministe) Une jeunesse sexuellement libérée (ou presque) . Ce n’est donc pas une surprise de la retrouver dans la revue Limite et à cette soirée « débat ». Enfin... façon de parler.

Retour sur la soirée

Car il ne fallait pas s’attendre à des désaccords très marqués entres les quatre invitées. Et ce n’était pas Kévin Boucaud-Victoire, l’animateur (et membre de la rédaction de Limite ), qui risquait d’apporter de la contradiction ! Petit focus sur l’énergumène. Noir, originaire de Seine-Saint-Denis et se revendiquant « socialiste » (ou « anarchiste conservateur »), Kévin est la caution « populaire » de ce petit milieu d’intellectuels bourgeois. La revue Le Comptoir (web et papier) qu’il a co-fondée a le mérite de proposer des articles authentiquement intéressants tout en faisant le sale boulot d’une tentative de rapprochement entre la gauche et les réacs qui gravitent autour de la revue Limite . La vigilance à avoir face à ce genre de médias pourrait être une question à développer au sein de nos milieux. Mais cela est peut-être un autre sujet.

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de gauche à droite. Eugénie Bastié, Natacha Polony, Kévin Boucaud-Victoire, Thérèse Hargot, Marianne Durano

Et pourtant, il en aurait fallu de véritables contradicteurs ! Parce qu’on a rarement entendu un tel déluge de propos anti-féministes. Petite synthèse :

Eugénie Bastié : son discours pourrait se résumer à une critique de ce qu’elle nomme « le néo-féminisme » sans parvenir pour autant à bien cerner les contours du champ théorique qu’elle évoque. Dès lors, ce qu’elle présente comme des contradictions sont en fait tout simplement différents types de féminismes. Ceux-ci sont donc d’avantage révélateurs d’une pluralité de points de vue plutôt qu’une faiblesse théorique. Mais peu importe, l’important, pour elle, c’est de donner l’impression qu’elle a compris l’objet de sa critique et que ça rend sa pensée forcément supérieure. Autant dire que nous avons là affaire à une pensée très... Limitée.

Natacha Polony : on a bien entendu pêle-mêle sa critique de la revendication de l’égalité salariale, son éloge de la « galanterie » mais également sa remise en cause de la domination masculine et la spécificité des violences faites aux femmes : " Il y a des violences faites aux femmes, et c’est terrible. Mais le débat actuel présente les femmes comme incapables elles-mêmes de toute violence, hors c’est faux. Et cela me gène. " Nous aussi ça nous gène ce que tu dis Natacha...

Thérèse Hargot (à propos du harcèlement) : « Dans quelle mesure j’ai aussi une responsabilité en tant que femme, en tant qu’adulte. Je ne peux pas me positionner seulement comme victime. Moi ce qui me gène beaucoup c’est que, aussi, comme femme, on peut envoyer des signes aux hommes qui font que ils se permettent, ou pas. » Sans commentaire.

Marianne Durano (en guise de conclusion de la soirée) : « Rappelons que Limite n’est pas une revue féministe mais une revue d’écologie intégrale ». La messe est dite, façon de parler, dans cette église du très bourgeois 17ème arrondissement de Paris.

Cette soirée donne donc un bon aperçu de la manière dont ce type de réacs réfléchit aujourd’hui : brouillage sémantique, concepts flous ou creux, positionnement faussement apolitique, etc. La diffusion de ces idées est assurée par des revues mais aussi des lieux. Après Le Simone à Lyon, c’est aujourd’hui Paris qui a l’honneur d’avoir son bar écolo-catho. Le 23 novembre dernier, le Dorothy a ouvert ses portes dans le 20ème arrondissement. Situé en plein quartier populaire de Ménilmontant, le bar essaie pour le moment de cacher sa dimension bourgeoise et réactionnaire. Pourtant, le porteur du projet, Foucauld Giuliani, est aussi membre de la rédaction de Limite. Autant dire que face à ce déploiement d’idées rétrogrades, la vigilance antifasciste est de mise ! Nous aurons l’occasion d’y revenir…
La Horde