À J-2 avant l’investiture de Trump à Washington, tout le monde se prépare, et pas seulement les camarades antifascistes et antiracistes. Les fachos, derrière Trump, sont de plus en plus présents sur les réseaux sociaux, vouant toute protestation radicale (ou pas d’ailleurs) aux gémonies. Mais qui sont-ils ?
On en a un peu entendu parler en France ou dans les médias européens : Trump a de nombreux amis à l’extrême droite et dans son sillage, toute une frange du parti conservateur ainsi que ses soutiens parmi les plus radicaux ont fait irruption sur le devant de la scène politique américaine. Au travers de Breitbart.news et de son directeur Steve Bannon, c’est ce qu’on appelle outre-Atlantique l’Alt-Right qu’on découvre petit à petit en Europe, mais sans en saisir toutefois l’étendue et la complexité.
Qu’est-ce que l’Alt-Right ?
Le mouvement Alt-Right doit se comprendre comme Alternative Right, qu’on pourrait traduire maladroitement par Droite alternative, sans rendre compte des positions extrêmement radicales de ce mouvement… ni du fait qu’il ne propose rien de nouveau. Le terme Alt-Right fait également référence à la touche alt sur le clavier des ordinateurs, de nombreux adeptes de ce courant d’extrême droite passant leur temps à troller les réseaux sociaux tels que Twitter. L’Alt-Right n’est pas une organisation en tant que telle mais ce mouvement a de nombreux canaux de diffusion pour ses idées, en particulier sur Internet. Son importance numérique est ainsi difficile à quantifier : ainsi, Richard Spencer, en quelque sorte son chef de file, parle de quelques milliers ou dizaines de milliers d’adeptes dans une interview donnée au New York Times , mais pendant la campagne électorale américaine et après l’élection de Trump, le nombre de visites de ces sites et autres blogs a fait un bond, de même que le nombre de leurs followers sur les réseaux sociaux.
Aujourd’hui
en Europe, on lit un peu partout que l’Alt-Right, c’est Breibart.news : or la réalité est plus complexe, car Breitbart a beau se revendiquer de l’Alt-Right, ce mouvement est parcouru de courants très divers, des néo-païens des Wolves of Vinland aux animateurs anonymes du très antisémite podcast Th e Daily Shoah (qui a lancé avec le site The Right Stuff le code écho [1]) pour stigmatiser les Juifs sur les réseaux sociaux) en passant par les adeptes du « réalisme racial » de Jared Taylor, sans oublier le Daily Stormer d’Andrew Anglin (inspiré du Stürmer de Julius Streicher, le brûlot qui mêlait étroitement propagande antisémite et pornographie dans l’Allemagne nazie).
D’où vient l’Alt-Right et quels sont ses mots d’ordre ?
Notons que le terme Alt-Right a été revendiqué par Richard Spencer (actuellement du National Policy Institute, NPI, alors encore conservateur) et Paul Gottfried, son mentor, un universitaire appartenant au courant paléoconservateur. Leur idée était de créer un mouvement dissident, à la droite du Parti républicain, en s’inspirant à la fois du paléoconservatisme américain et de la Nouvelle Droite européenne.
De fait, même les tenants du Tea Party à l’intérieur du Parti républicain (comme Sarah Palin ou Newt Gingrich) ont été dépassés par l’engouement de leurs soutiens pour ce mouvement dont les mots d’ordre et les idées sont rarement développés de façon rationnelle ou reposent sur du pseudo-scientifisme à la sauce néonazie ou conspirationniste. Le meilleur exemple est le délire diffusé en 2009 autour de la nationalité de Barack Obama, accusé de ne pas être américain : c’est le moment du basculement dans l’irrationnalité (avec l’utilisation de fakes, de trolls qui se contentent de répéter et de citer sans argumenter).
Sur l’érosion du Parti républicain, qui a encaissé deux défaites électorales, s’est construite la nouvelle extrême droite américaine, avec un mélange détonnant d’archaïsme et de high tech geek. Les historiens et politologues américains, sans faire d’amalgame, ont montré que les caractéristiques principales de l’Alt-Right étaient les mêmes que celles du fascisme le plus authentique, autour d’une idée fondamentale : l’inégalité.
Selon Richard Spencer, tous les hommes ont été créés inégaux, et l’égalité est un mythe dangereux. De là découlent tous les mots d’ordre de l’Alt-Right : un racialisme virulent et un antisémitisme obsessionnel, le mépris de la démocratie, une vision également obsessionnelle de la déchéance de la nation, qui s’accompagne d’une volonté de renouveau national, une misogynie poussée à l’extrême doublée d’un antiféminisme radical, un darwinisme social qui s’appuie sur l’ultralibéralisme et un culte forcené de la violence. À cela s’ajoutent les idées du paléoconservatisme : refus de l’autorité de l’État fédéral, vers un individualisme poussé à l’extrême, isolationnisme politique et protectionnisme en matière d’économie.
Trump n’a plus qu’à choisir, lui qui a nommé Steve Bannon comme conseiller après qu’il a été son directeur de campagne ! Car Breitbart , qui diffuse les idées de l’Alt-Right en arrondissant les angles et est parfois appelé Alt-Lite (comme le coca light), sert, pour des milliers de personnes, de point d’accès aux idées de l’Alt-Right.
Panorama de quelques groupes ou sites que l’on peut rattacher au mouvement Alt-Right
Commençons par le site Alternative Right créé en 2010 par Richard Spencer (qui dirige depuis le National Policy Institute, NPI et sa publication en ligne, Radix Journal ) : Alternative Right est un webzine dont l’objectif était de rassembler toutes les forces dissidentes à droite des Républicains (libertariens, catholiques intégristes, païens, racialistes, eugénistes…) en associant le nationalisme blanc et la culture geek. C’est ce qui explique la différence entre le mouvement Alt-Right et le mouvement suprémaciste blanc, plus modeste du point de vue social. Chez les Alt-Right, on n’est pas loin des traditions néofascistes élitistes à l’européenne.
Notons également le blog The Right Stuff , qui diffuse les podcasts de The Daily Shoah , qui porte ce titre antisémite avec un cynisme qu’un Hitler ou un Himmler n’auraient pas renié. De façon anonyme, les animateurs de ces deux sites vraiment orduriers diffusent force blagues racistes et antisémites, accompagnées de délires négationnistes, et lancent des attaques de trolls contre des écrivains ou des militants de gauche.
N’oublions pas la publication dirigée par Jared Taylor, American Renaissance ( AmRen ), qui diffuse les idées afférentes au « réalisme racial » par le biais d’études pseudo-scientifiques sur les races et le quotient intellectuel des populations. L’objectif est tout d’abord de prouver que la diversité est dangereuse (pas étonnant, de la part de suprémacistes blancs) et que les hommes sont, soi-disant, supérieurs aux femmes. Plus d’informations en anglais sur le site du Southern Poverty Law Center.
On retrouve en fait dans les posts et les tweets des sympathisants de l’Alt-Right la conjugaison de ces deux derniers médias : avec l’agressivité et le langage ordurier de The Right Stuff / The Daily Shoah et l’aspect pseudo-scientifique de AmRen .
Enfin, citons pour conclure le Daily Stormer d’Andrew Anglin. Lorsqu’on regarde la violence de ce qu’il publie et la totale absence d’ambiguité de son racisme (racialiste) et de son antisémitisme (voir la campagne antisémite menée par Anglin à Whitefish, Montana, qui s’est soldée par un échec retentissant), on n’est pas étonné que ce soit Breitbart , et non pas ces publications, qui se retrouve sur le devant de la scène.
Leurs liens avec la Nouvelle Droite européenne
Tout ce petit monde est prêt à faire des émules en Europe, en particulier dans les pays où l’opinion semble particulièrement favorable : il s’agit en premier lieu de la Grande-Bretagne (où le bureau de Londres existe d’ores et déjà), de la France (avec Marine Le Pen) et de l’Allemagne (avec, malgré ses multiples scissions, l’Alternative für Deutschland, AfD).
En Allemagne, la Nouvelle Droite s’est toujours montrée fort intéressée par le paléoconservatisme américain, et Pegida a récemment traduit et publié (par l’intermédiaire de Götz Kubitschek et de son Institut für Staatspolitik dont le nom ressemble à s’y méprendre au National Policy Institute de Spencer) un livre de Jack Donovan, des Wolves of Vinland, intitulé The Way of Men , qui prône la « masculinité et le tribalisme » et appelle l’avènement d’une nouvelle barbarie, où les femmes serviront à la reproduction (sinon elles sont une menace) tandis que petites unités de combat masculines défendront leurs territoires, débarrassées de toute civilisation…
Par ailleurs, Spencer aime à reprendre les mots d’ordre de Pegida quand il harangue ses ouailles le soir de l’élection de Trump, et dans la langue de Goethe : « Lügenpresse » (la presse qui ment).
En France, les liens sont un peu différents : l’Alt-Right a ainsi invité à deux reprises des ténors de la Nouvelle Droite. En 2013, Alain de Benoist était invité au Ronald Reagan Building (là où on a vu Spencer parler allemand et son public lever le bras aux cris de « Hail Trump ! ») pour parler des questions d’identité. Deux ans plus tard, c’était le tour de Guillaume Faye qui fut aux Identitaires.
Aujourd’hui, Breitbart a annoncé vouloir lancer une antenne en France et en Allemagne, après avoir manifesté son soutien à Marine Le Pen tout autant qu’à Marion Maréchal-Le Pen, à qui le site pourrait être utile au cours de la campagne présidentielle. Du côté allemand, on peut s’attendre à ce que Breitbart en Allemagne diffuse le discours de l’AfD en vue des élections législatives de septembre 2017.
La Horde