D’autres que nous (comme la Fondation Jean Jaurès ici) ont déjà présenté en détail les différentes listes d’extrême droite aux élections européennes du 26 mai prochain. De notre côté, nous vous proposons un rapide rappel des élections de 2014, puis un aperçu, sinon exhaustif, du moins avec quelques infos complémentaires des listes de cette année, en commençant par les "souverainistes", avant de nous attarder dans un prochain article sur les plus radicales d’entre elles…

En 2014, le Front national était arrivé pour la première fois en tête lors d’une élection nationale : avec 25% des suffrages, le parti dirigé par Marine Le Pen multiplie ainsi par quatre son score de 2009, après une campagne concentrée sur l’immigration.

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Aujourd’hui, avec le départ de Florian Philippot et le renforcement de Nicolas Dupont-Aignan dans la sphère souverainiste, le Rassemblement national, s’il est toujours bien placé dans les sondages, doit compter avec quelques concurrents qui, s’ils ne menacent pas son leadership, pourrait bien lui coûter quelques points.

Qui sont les actuels eurodéputés français d’extrême droite ?

En 2014, seul le Front national avait réussi à envoyer des députés à Bruxelles. Mais il faut noter que depuis, une dizaine de ces 24 eurodéputés ont démissionné ou quitté le mouvement, dont deux quasiment à peine élues : Joëlle Bergeron, contrainte à la démission pour avoir suggérer le droite de vote pour les étrangers (pourtant limité au seuls Européens !) et l’énigmatique Jeanne Pothain (remplacée par Philippe Loiseau), visiblement sur les listes pour des question de parité homme-femme.

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Les députés du FN au Parlement européen.

S’en sont ensuite allés les fidèles du FN à papa (Jean-Marie Le Pen lui-même et Marie-Christine Arnautu) et celles et ceux partis créés les Patriotes (Florian Philippot, Sophie Montel, Mireille d’Ornano). Enfin, il y a celles et ceux qui se sont trompé de crémerie : le géo politologue traditionaliste Aymeric Chauprade (au FN de 2013 à 2015) ainsi que Sylvie Goddyn et Bernard Monot, qui ont tous les deux rejoint Debout la France : l’une récemment, l’autre après les élections présidentielles de 2017.

Côté Rassemblement national, restaient Marine Le Pen et sa garde rapprochée (Louis Alliot, Steeve Briois, Dominique Martin, Nicolas Bay), les « historiques » (Bruno Gollnisch, Jean-François Jalkh, Dominique Bilde, Joëlle Melin et Edouard Ferrant) et enfin, les « nouveaux » : Mylène Troszczynski (qui a adhéré au FN en 2003), Gilles Lebreton (ex-RPF, membre du SIEL, au FN depuis 2014), Philippe Loiseau. Mais ce dernier, avec Sylvie Goddyn, avait annoncé en octobre dernier vouloir soutenir la liste de Nicolas Dupont-Aignan aux européennes, tout en restant au RN, avant de revenir finalement sur sa décision.

DLF et le RN peinent à faire venir à eux des Gilets jaunes

Inutile de trop s’étendre sur les listes menées par le Rassemblement national et Debout la France, car les articles dans la presse à leur propos ne manquent pas. On peut ainsi lire ici à quel point ces deux listes chassent sur les mêmes terres, ou  constater les difficultés rencontrées par Marine Le Pen pour gérer en interne les ambitions des un.es et des autres. Quoiqu’il en soit, le RN est bien loin devant son concurrent dans les sondages, même si DLF, parfois crédité de plus de 5% des intentions de vote, pourrait peut-être décrocher un siège.

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Le "gilet jaune" Benjamin Cauchy avec Nicolas Dupont-Aignan

Si on trouve Benjamin Cauchy sur la liste de Debout la France (pas sûr cependant que cela suffise pour faire croire que NDA se bat pour la justice sociale), aucun "gilet jaune" connu ne figure dans la liste RN. Marine Le Pen avait pourtant déclaré lors d’une réunion publique dans le Vaucluse, dans le cadre de sa campagne pour les élections européennes, " les Gilets jaunes, c’est nous ! ". Un examen minutieux de l’attitude des députés de son groupe montre pourtant que ces derniers n’ont jamais pris position contre le libre-échange, et ont même voté pour protéger les grands patrons… Le journal BastaMag avait publié en avril 2017 un intéressant article qui détaillait les votes des députés FN au Parlement européen, et qui montraient une grande frilosité à voter contre les accords de libre-échange ou les mesures visant à restreindre l’évasion fiscale ou le secret des affaires, que Marine Le Pen feint pourtant de fustiger aujourd’hui.

Pour ce qui est du programme, la principale différence avec le programme précédent, tient au fait que la sortie de l’Euro n’est plus d’actualité, et que la question écologique, quasiment absente en 2014, est cette fois mise au service de l’argumentaire protectionniste. Sinon, sont toujours mis en avant la sortie de l’espace Schengen et le retour aux frontières nationales, et la défense de "l’identité européenne", avec une référence cette année plus appuyée au "péril islamiste".

Une liste RN sans surprise

On y trouve encore pas mal de vieux de la vieilles, militants au FN depuis les années 1970 ou 1980 (Jean-François Jalkh, Thibaut de la Tocnaye, Gille Penelle, Philippe Olivier Dominique Bilde, Joëlle Melin ou Huguette Fatna) même si on remarque, signe d’une époque révolue, que Bruno Gollnisch, après trente ans passés au Parlement européen, a fini par être écarté ; pour le reste, des proches de Marine Le Pen (Dominique Martin, Nicolas Bay, Jean-Lin Lacapelle) et toute une flopée de nouvelles têtes, parmi lesquels quand même de vieux briscards comme Thierry Mariani, fraîchement rallié, ou Philippe Vardon, ex-leader des Identitaires, qui continue tranquillement à faire son trou au sein du Rassemblement national.

Concernant la tête de liste, Marine Le Pen ayant préféré rester à l’Assemblée nationale (elle est en avant-dernière position sur la liste), Nicolas Bay, vice-président du RN et chargé des affaires européennes, semblait tout désigné (bien que, selon un élu FN, Marine Le Pen « ne l’aime pas, elle se méfie de lui »), mais il n’est finalement qu’en 7e position. Il s’est également dit que Marine Le Pen pourrait choisir une personnalité de la « société civile », en l’espèce le journaliste et businessman Hervé Juvin, chroniqueur sur TV Libertés et rédacteur dans Éléments , la revue de la Nouvelle Droite. S’il est bien placé sur la liste (5e position), c’est finalement Jordan Bardella qui lui a été préféré : en plus d’être une étoile montante du RN, il parle italien, alors que Marine Le Pen fait tout ce qu’elle peut pour se rapprocher de Mateo Salvini.

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Un Jordan qui ne manque pas d’air

Né en 1995, il rejoint le Front National à 16 ans, puis, après son bac, le collectif Marianne (association du FN pour les étudiants) et devient responsable départemental du Front National de la Jeunesse. Malgré ce parcours 100% FN version Philippot, Bardella n’hésite pas à afficher alors sur Facebook son « amitié » avec des militants de l’extrême droite radicale, comme l’identitaire niçois Clément Martin, le militant breton d’Adsav Jérôme Bousseaud ou encore Laura Lussaud, trésorière de ce qui reste de l’Œuvre française.

Devenu en juillet 2014 secrétaire départemental de Seine Saint-Denis (d’où il est originaire), il est chargé en 2015 par Florian Philippot, alors n°2 du FN, de présider un collectif sur la question des banlieues, « Banlieues patriotes » que nous vous avions à l’époque présenté en détail ici. À ses côtés, des militants au parcours disons… atypique, puisqu’on y trouve Guy Deballe, membre du FN depuis 2015 après dix ans Parti socialiste, en quête d’un poste d’élus si on en croit ses anciens amis ; Aurélien Legrand, un proche de Wallerand de Saint-Just qui vient du NPA ; Davy Rodriguez, passé lui par le Front de Gauche, mais qui quittera le FN en mars 2018 après la diffusion d’une vidéo le montrant proférer des propos racistes… Bref, une bande de quasi-gauchistes heureusement repentis ! Lancé officiellement en janvier 2016, Banlieues patriotes cesse pratiquement ses activités en novembre de la même année. Durant ces quelques mois d’existence, le collectif va produire un livre blanc de 50 pages pompeusement intitulé « la France à l’heure du choix », et une affiche toute en nuances, où Kelly Betesh (déjà présentée ici ou ) prend la pose : normal, c’est à l’époque la petite amie de Julien Bardella, avec qui il prend la pose ce fameux réveillon de la Saint-Sylvestre où de jeunes responsables frontistes boivent du champagne avec d’autres jeunes des Républicains ou de Debout le France.

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Bardella devant une affiche de Banlieue patriote, reprise en version "hard" par le FN.

Si on en croit Valeurs actuelles , Bardella se serait ensuite brouillé avec Philippot sur la question « identitaire ». Ainsi, quand Philippot part fonder les Patriotes, au lieu de payer sa proximité avec l’ancien numéro deux, Bardella va au contraire avoir une double promotion : devenir en septembre 2017 un des porte-parole du Front national, et en mars 2018 le nouveau directeur du Front National de la Jeunesse (FNJ), la structure de jeunesse du FN, qui devient deux mois plus tard « Génération nation ».

Bardella n’a pas beaucoup d’idées à lui, alors il essaye de compiler celles des autres. Alors que la fumisterie Bastion social fait l’actualité, il annonce que le FNJ nouvelle formule va faire des maraudes sociales ; mais il va plus loin en proposant de l’aide aux devoirs et même des dons du sang ! Alors que Marion Maréchal vient d’ouvrir son école, l’ISSEP, il souhaite aussi créer une « école de cadres »… Enfin, comme toutes celles et tous ceux de sa génération à droite, il veut dialoguer avec toutes les familles « souverainistes », chez les Républicains ou à Debout le France, mais même « au-delà ». Il déclare : « l’identité et la souveraineté sont les deux jambes d’un même corps » : c’est vrai, mais c’est celui d’un poulet sans tête !

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La vie privée de nos ennemis politiques ne nous regarde pas, sauf quand elle nous permet de mieux comprendre leur position au sein de leur organisation ou leur évolution. Dans ce cadre, les choix sentimentaux de Jordan s’accordent fort opportunément avec son ambition politique. Ainsi, peu nous importe de savoir la raison de la rupture entre Bardella et Kelly Betesh, une fidèle de Florian Philippot (qui partira d’ailleurs avec lui aux Patriotes) : en revanche, il nous semble tout à fait significatif que ce soit pour Kerridwen, une des filles de Frédéric Chatillon, un des proches amis de Marine Le Pen. « Je n’ai pas eu besoin de ça » a déclaré Bardella à la presse. Possible, mais le népotisme et le favoritisme étant ce qu’il est au FN, disons que ça a pu aider quand même !

Du côté des souverainistes d’extrême droite qui se croient de gauche

Enfin, pour conclure et par charité, quelques lignes sur les Patriotes. Pour Florian Philippot, en plus d’avoir perdu l’une de ses trois eurodéputés en la personne (décidément ingérable) de Sophie Montel, qui a rejoint Dupont-Aignan, et de voir Kévin Pfeffer, qui a été l’assistant de Montel et vice-président de l’association Les Patriotes, en 29e position sur la liste du RN, c’est la déroute. Alors qu’il avait tout misé sur un effet "gilet jaune" aux élections (prouvant ainsi sa mauvaise interprétation du mouvement) pour se refaire et surtout brouiller son image d’ancien FN, appelant même sa liste "Ensemble Patriotes et Gilets jaunes", sa liste n’est crédité que de 2% des intentions de vote, et les Gilets jaunes le boudent.

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On retrouve sans surprise les deux eurodéputés du mouvement en tête de liste (Philippot lui-même et Mireille d’Ornano), ainsi que Joffrey Bollée, un ancien de Debout la France, qui était le directeur de cabinet de Philippot au FN. Dans ceux qui suivent, une dizaine de "gilets jaunes" issus du mouvement "Jaunes et citoyens", dont Jean-François Barnaba en 9e position. Philippot est tellement désespéré qu’il avait même proposé de faire liste commune sur France Inter à l’UPR d’Asselineau, qui ne lui a pas répondu. Pire, si l’on en croit RTL, le patron des Patriotes et celui de l’UPR en seraient quasiment venus aux mains le 7 mai dernier après un débat sur la chaîne CNews !

La Horde

À suivre : Ce qui se passe du côté des "identitaires"