Le site d’information Le Courrier des Balkans revient dans un article sur les liens entre fascistes, néo-nazis et identitaires de Serbie et d’Italie.
Fascistes, néo-nazis et identitaires de Serbie et d’Italie ont tout pour s’entendre : haine des migrants et des LGBT, rejet du « libéralisme », fascination pour la Russie... Radiographie d’une nébuleuse brune très bien connectée.
Le 24 septembre, à la veille des élections italiennes, remportées par l’extrême droite, le Klub 451, haut lieu de l’extrême droite serbe à Belgrade, recevait des visiteurs de marque : des militants du Blocco studentesco (Bloc étudiant), la branche de jeunesse de l’organisation néo-fasciste CasaPound. Certains de ces néofascistes italiens arboraient la croix celtique et le slogan « White pride » (fierté blanche). Les militants de Casa Pound sont connus pour leurs attaques contre les migrants et leurs opposants antifas.
Depuis des années, les groupes italiens d’ultra-droite entretiennent d’excellentes relations avec leurs homologues en Serbie. Comme l’explique Giorgio Fruscione, analyste à l’Institut italien de politique internationale, les néofascistes italiens et serbes partagent un engagement commun sur une ligne anti-libérale et anti-occidentale. Durant leur séjour dans la capitale serbe, les jeunes de Casa Pound n’ont pas manqué d’aller se recueillir sur les tombes des soldats italiens de la Première Guerre mondiale, enterrés à Novo Groblje.
Le Klub 451, plaque-tournante de l’extrême-droite serbe
La rencontre était animée par Sergio Filacchioni, représentant du Blocco Studentesco, et par Marko Gajinović, le représentant légal du Klub 451. Comme l’a déjà révélé Radio Slobodna Evropa, Marko Gajinović est lié aux groupes d’extrême-droite Zentropa Srbija et Nacionalni srpski front. Ce dernier groupe est lui-même lié au « Führer » Goran Davidović, arrêté à Trieste en 2009, l’ancien chef du groupe néonazi Nacionalni stroj, dont les activités ont été interdites par le Tribunal constitutionnel en 2011.
En 2017, Marko Gajinović avait placardé sur les locaux de l’Initiative des jeunes pour les droits humains des affiches les accusants d’être des « agents de Soros ». Il a également participé à des rassemblements commémoratifs en l’honneur de Milan Nedić, le chef du gouvernement serbe qui a collaboré durant l’occupation nazie, entre 1941 et 1945.
Le Klub 451 n’a pas souhaité expliquer plus en détails le but de la visite de leurs invités italiens. Tout est dit sur l’affiche, assure son représentant légal. Qui ajoute, dans sa réponse écrite : « Le Klub 451 n’est pas une organisation politique, il ne participe à aucun affrontement politique, et il ne s’identifie à aucune idéologie politique. (...) Par contre, si vous voulez savoir s’il existe une idéologie proche de notre collectif, nous pouvons tout de suite vous donner la réponse : c’est l’anarchisme qui nous est le plus cher, et nous sympathisons avec les idées du centre extrême ».
Le Klub 451 devait récemment accueillir sur scène une Suissesse qui joue des reprises de groupes néonazis. Face à l’indignation des antifascistes et d’une partie de l’opinion publique, le concert a finalement été annulé. Le lieu organise régulièrement des événements auxquels participent diverses organisations d’ultra droite serbes.
De la Légion impériale russe à Génération identitaire
Parmi ces groupes, se distingue notamment Srbska akcija (Action serbe), connue du grand public pour ses actions racistes contre la communauté rom et ses rassemblements en mémoire des collaborateurs serbes de la Seconde Guerre mondiale. Ce groupe entretient des liens étroits avec la tristement célèbre Légion impériale (Имперский Легион) russe.
Sur l’une des photographies où le Blocco Studentesco et le Klub 451 posent ensemble, on aperçoit, outre Marko Gajinović, Aleksandar Vorkapić, l’un des fondateurs de la branche serbe de Génération identitaire. L’homme présente ses activités comme « un combat pour la préservation de l’identité européenne face aux migrants venus d’Afrique et du Proche-Orient ».
Lors des élections locales de 2016 et 2020, Aleksandar Vorkapić figurait sur l’une des listes du Parti radical serbe de Vojislav Šešelj (SRS) à Belgrade. Sur son compte Twitter, il glorifie lui aussi les collaborateurs serbes, de même que que le groupe néonazi grec Aube dorée, pourtant reconnu par la justice de son pays comme une « organisation criminelle ». En mars 2018, il avait appelé la diaspora serbe d’Italie à voter pour les candidats de CasaPound aux législatives.
CasaPound, le Blocco Studentesco et Miša Vacić
Le groupe néofasciste italien CasaPound a vu le jour en 2003 à Rome et n’a jamais vraiment percé lors des différentes échéances électorales depuis. Mais ses idées infusent toute l’extrême-droite italienne, dont Giorgia Meloni, la nouvelle présidente du Conseil, et son parti Fratelli d’Italia. Le nom de l’organisation s’inspire de l’écrivain américain fasciste Ezra Pound.
Si CasaPound a essayé de jouer sur la fibre sociale pour s’attirer les faveurs de l’opinion publique, la base de son engagement reste la défense de l’identité européenne qui serait menacée par la mondialisation, le libéralisme et l’islam véhiculé par les immigrés. Ses militants sont régulièrement épinglés pour leur violence. De même que ceux du Blocco studentesco, sa section de jeunesse.
Sur son site officiel, le Blocco Studentesco publie des textes non signés sur des thèmes d’actualité, ainsi que des recensions de livres et des résumés de biographies de penseurs proches de sa vision du monde. On y trouve entre autres une recension positive du philosophe russe et idéologue fasciste Ivan Illine (1883-1954). Un homme qui a publié des articles louant le dictateur fasciste Benito Mussolini, dont l’arrivée au pouvoir avait été un « acte salvateur ».
Au cours de leur séjour à Belgrade, les néofascistes italiens ont également rencontré Miša Vacić, le chef de la Droite serbe, candidat nationaliste à la présidentielles serbe du 3 avril 2022. De fin 2016 à début 2017, Miša Vacić a travaillé au Bureau pour le Kosovo du gouvernement de Serbie.
Au printemps 2021, Miša Vacić avait fait partie des représentants de l’extrême-droite européenne qui s’étaient retrouvés à Rome pour une rencontre placée sous le mot d’ordre « Notre Europe ». On pouvait s’y procurer, entre autres, des t-shirt portant le slogan « Le fascisme pour le XXIe siècle ».
Lors de l’une des réunions fondatrices de la Droite serbe, il avait invité le nationaliste britannique Jim Downson et l’intellectuel russe Leonid Savin, qui administre la page web de l’oligarque Konstantin Malofeïev, sous le coup de sanctions américaines pour son soutien aux séparatistes pro-russes en Ukraine et qui aurait également financé les campagnes de Milorad Dodik.
Kosovo, paravent humanitaire
En août 2021, des membres du groupe italien Azione Cultura Tradizione (ACT) ont rencontré des membres du groupe d’extrême-droite Kormilo Srbija (Gouvernail Serbie), une rencontre relayée par les deux organisations sur leurs chaînes Telegram. ACT est connu pour ses positions et ses actions contre les immigrés et les LGBTQI+. De son côté, Kormilo Srbija s’est vantée sur les réseaux sociaux d’avoir célébré l’anniversaire de la mort de Nebojša Krstić, le fondateur de l’organisation clérico-fasciste Obraz (Honneur), dont les activités ont été interdites par le Tribunal constitutionnel de Serbie en 2012.
Un segment particulier de la coopération des ultra-droites italienne et serbe se déroule sous le paravent d’actions humanitaires pour les Serbes du Kosovo. Selon une étude du Centre de recherche et d’analyse de Voïvodine (VOICE), l’organisation humanitaire italienne Una Voce nel Silencio (Une voix dans le silence) a initié en 2019 la construction d’un espace culturel à Velika Hoča, une enclave au sud-ouest du Kosovo. On trouve à l’origine de Una Voce nel Silencio des membres de collectifs néofascistes, notamment Stefano Pavezi, membre de la Lega, la formation de Matteo Salvini, l’ancien vice-Premier ministre italien aujourd’hui à la tête du ministère des Infrastructures.
Le Blocco Studentesco a lui aussi participé à l’organisation d’événements caritatifs et de tribunes en Italie, et on retrouve parmi les membres de l’une des délégations humanitaires Gianluca Iannone, le chef de CasaPound. La nébuleuse de l’aide « humanitaire » et identitaire au Kosovo serbe a longtemps été dominée par la figure du militant français Arnaud Gouillon. Ce militant identitaire est aujourd’hui à la tête de Direction de la coopération avec la diaspora et les Serbes de la région, un poste très stratégique à Belgrade.
Traduit par Chloé Billon (article original) | Adapté par la rédaction du Courrier des Balkans, s’abonner c’est permettre à notre (petit) médias d’exister.