Le journaliste d’El País, José María Irujo, a récemment publié les résultats de son enquête sur Emilio Hollín Moro, membre du parti franquiste Fuerza Nueva et condamné pour le meurtre d’une jeune étudiante basque…
Dans la matinée du 2 février 1980, l’étudiante basque Yolanda González Martín, membre du Parti Socialiste des Travailleurs (petite formation trotskyste) et connue pour son fort engagement au sein de son école, était retrouvée morte dans la banlieue ouvrière de Madrid, à l’âge de 19 ans. Quelques jours plus tard, le Batallón Vasco Español revendiquait cette action en assurant lutter pour une Espagne « grande, libre et unie », comme le voulait la devise franquiste. Yolanda avait été séquestrée, torturée puis assassinée de trois balles dans la tête en raison de sa supposée appartenance à l’organisation indépendantiste basque ETA. Son nom s’ajouta à la longue liste des victimes du BVE, groupe armé d’extrême-droite ayant commencé ses activités peu après l’exécution du successeur désigné de Franco, Luis Carrero Blanco, revendiquée par ETA. Entre 1975 et 1981, le BVE a assassiné au moins 32 personnes, désignées en fonction de leur appartenance, réelle ou supposée, à ETA. A partir de 1982, le BVE est remplacé par une organisation plus connue : les Groupes Antiterroristes de Libération (GAL).
En 1982, l’Audience nationale condamne Ignacio Abad, José Ricardo Prieto et Félix Pérez Ajero, membres du parti franquiste Fuerza Nueva, à des peines de 4 à 26 ans de prison. Le policier Juan Carlos Rodas ainsi que le responsable de la sécurité de Fuerza Nueva, David Martínez Loza, furent également condamnés. Mais la peine maximum fut réservée à Emilio Hellín Moro, influent membre de Fuerza Nueva, considéré comme le principal exécutant, avec 43 ans de prison.
Malgré cette lourde peine pour des faits qualifiés de « terroristes », Hellín bénéficie, en 1987, d’une permission de six jours ! Il en profite alors, à l’aide d’un faux passeport, pour s’envoler en direction du Paraguay, accueilli les bras grands ouverts par le régime dictatorial d’Alfredo Stroessner. Il y fonde le Centre d’Etudes Professionnelles d’Asunción et y forme les services secrets paraguayens à l’installation de micros et aux écoutes téléphoniques. Trois ans plus tard, suite à une enquête d’un journaliste espagnol, il est finalement extradé vers l’Espagne avant d’être définitivement libéré en janvier 1996, après 14 ans de prison, soit la moitié de la peine maximum existant dans le Code pénal espagnol1. Notons également qu’il bénéficia de jours de permissions, malgré sa fuite de 1987.
A sa sortie, il change son nom en Luis Enrique Hellín Moro et se reconvertit dans l’informatique, plus précisément dans le secteur de l’investigation criminelle et judiciaire. Son entreprise florissante, New Technology Forensics, obtient plusieurs contrats dont les plus rentables avec le Service de Criminalistique de la Garde Civile (équivalent de la gendarmerie), la Police Nationale, le Ministère de la Défense ou encore les polices autonomes basque (Ertzaintza) et catalane (Mossos d’Esquadra). Parmi ses activités : la participation à des enquêtes, la formation d’agents ou encore la participation à des procès en tant qu’expert.
L’histoire de Emilio Hellín Moro nous confirme, si besoin était, que l’Etat espagnol continue d’être imprégné de son passé franquiste, protégeant ceux qui l’ont servi. Un passé qui, en revanche, semble avoir été oublié par le Parti Nationaliste Basque (PNV, droite basque), victime de la répression franquiste pendant 40 ans et qui collabore aujourd’hui avec les ennemis d’hier. Ainsi, alors que des habitants du quartier d’origine de Yolanda González avaient réalisé une fresque murale afin de commémorer les 33 ans de sa disparition, les services techniques de la ville de Bilbao (dirigée par le PNV) effaçait la fresque. Quelques jours plus tard, dans un contexte de forte mobilisation populaire pour connaître la vérité quant au soutien dont a bénéficié Hellín Moro, une nouvelle fresque était réalisée. Yolanda, nous ne t’oublions pas ! Yolanda gogoan !
L’article complet paru dans El País (en castillan)
1 Il ne s’agit évidemment pas de plébisciter les très longues peines de prison mais, dans ce type de dossier, ce type de remise de peines est très rare. Les militants de la gauche indépendantiste basque peuvent en témoigner, encore aujourd’hui…