À l’occasion d’un débat à Angers vendredi prochain sur la question du confusionnisme, voici un texte d’introduction au débat sur les tentatives de l’extrême droite qui, entre brouillage et tour de passe-passe, essaye de faire croire qu’elle n’existe plus ou pire, que ce sont les antifascistes qui l’inventent…
Si le capitalisme repose sur une inégalité de fait entre exploiteurs et exploités, il laisse toujours la possibilité, certes illusoire et marginale, qu’un pauvre devienne riche. L’extrême droite, elle, se caractérise avant toute chose par la défense d’une vision du monde "naturellement" inégalitaire (inégalité "raciale", culturelle et/ou sexuelle) impliquant de fait des rapport de domination présentés eux aussi comme "naturels" ou allant de soi, que ce soit de l’homme sur la femme, des "nôtres" sur "les autres", du "civilisé" sur le "sauvage", etc. C’est là sa marque de fabrique, mais qu’elle peine à assumer totalement et publiquement, surtout en raison de l’encombrant héritage de ses expériences passées, nazie et fasciste : au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, elle n’a pu faire son retour qu’en avançant masquée, et en faisant croire qu’elle venait de nulle part. S’il existe toujours à l’extrême droite des nostalgiques revendiqués de Vichy ou de l’Italie mussolinienne, il faut bien constater que c’est aujourd’hui une position marginale, et que les plupart des groupes contemporains revendiquent au contraire une certaine "modernité" et même une certaine virginité politique.
Le Front national, son principal représentant, pourtant fondé par d’authentiques héritiers du fascisme historique, a su, en quelques décennies, se faire passer pour un parti qui défend la liberté et la république, voire même, tout récemment, pour un parti d’émancipation sociale, tout en conservant ses fondamentaux inégalitaires et discriminatoires : se prétendant "ni de droite ni de gauche", le FN ne veut plus pouvoir être situé sur l’échiquier politique, afin d’apparaître comme l’unique recours, et de pouvoir ainsi élargir sa clientèle électorale. Du côté de l’extrême droite radicale, le même tour de passe-passe a été opéré au début des années 2000 par les "identitaires" : lui aussi fondé par des nationalistes-révolutionnaires racialistes, le mouvement identitaire a réussi à se débarrasser en partie de son folklore fasciste, sans rien lâcher sur le fond, mais en offrant une vitrine acceptable et moderne, susceptibles de faire venir à lui une jeunesse jugée moins hostile que par le passé, en particulier en utilisant toutes les ressources d’internet et des réseaux sociaux.
Pour réussir à faire prendre des vessies pour des lanternes, les uns et les autres ont joué sur une certaine confusion, afin de brouiller leur image et de tenter de rendre caduque la notion même d’ « extrême droite ». Aujourd’hui, l’extrême droite réussit l’exploit de faire croire qu’elle n’est pas d’extrême droite, puisque « ni de droite ni de gauche », qu’elle est pour la liberté d’expression, que l’extrême droite c’est les autres (en particulier celles et ceux qui s’opposent au développement de ses idées), qu’elle est ouverte au dialogue et qu’elle vaut la peine d’être essayée, comme si elle n’avait jamais été au pouvoir.
Elle a su en outre parfois récupérer à son compte le discours, les postures voire les symboles de la gauche ; certaines personnalités considérées à tort ou à raison comme « de gauche » ont participé à ce brouillage, soit en s’engageant à ses côtés (comme Dieudonné), soit en faisant preuve d’une grande tolérance à son égard (comme Étienne Chouard). Au nom de la lutte contre le « système », certains défendent ainsi l’idée d’une convergence de tous ses « ennemis », de droite comme de gauche : une idée ancienne à l’extrême droite, mais qui connaît aujourd’hui une nouvelle vitalité, et dans tous les milieux, en particulier dans les nouveaux espaces de politisation, réels ou virtuels.
Ce « confusionnisme » ne peut bien entendu que profiter à l’extrême droite, et c’est pourquoi il mérite d’être analysé et déconstruit, afin que renaisse une certaine intolérance à l’égard des courants nationalistes, racistes, sexistes et autoritaires qui, s’ils ne disent pas toujours leur nom, garderont tout l’espace qu’on leur laissera, afin d’y imposer leur ordre. Il sera alors un peu tard pour se demander ce qui s’est passé…
Pour en discuter, nous vous donnons rendez-vous demain 28 mai à 20h30 à l’Étincelle à Angers.
La Horde