Roudier

Implantée depuis un quart de siècle dans les Cévennes, les Roudier vivent au Château d’Isis, à Saint-Julien de la Nef, où le père et la mère proposent des chambres d’hôtes et des repas gastronomiques aux urbains en mal de terroir. Mais dans la région, on connait surtout les Roudier pour leur racisme et leur violence, qui sont la matrice de leur activisme politique : « à nous de pourrir l’ambiance » comme le déclare fièrement Richard Roudier [1]. Pour mieux cerner cette famille pas comme les autres, nous commencerons par retracer le parcours du patriarche, Richard Roudier, passé par plusieurs groupuscules de l’extrême droite radicale avant de lancer son propre mouvement, la Ligue du Midi. En voici la première partie, qui couvre ses activités de ses débuts jusqu’à la création des Identitaires, en 2002.

Né en 1947 à Béziers, Richard Roudier connait ses premiers émois politiques à dix ans devant Pierre Poujade, populiste défenseur des petits commerçants, particulièrement populaire à l’époque dans ce coin du Midi, à tel point que, à l’école primaire, Roudier se rappelle avoir joué non pas aux gendarmes et aux voleurs, mais à « commerçants contre fonctionnaires » [2] … Antiparlementarisme, rejet du monde moderne, méthodes musclées : le style Poujade séduit le jeune Richard.

poujade
Pierre Poujade, un soutien de l’Algérie française.

Second choc : la « perte » de l’Algérie à l’issu de la guerre de libération du peuple algérien. Après avoir suivi avec passion le putsch des généraux à Alger en 1961, le lycéen Roudier, qui écrit rageusement sur les murs « OAS vaincra » et imprime une éphémère feuille de chou intitulée « Spartiate », s’engage d’abord dans les réseaux d’accueil des harkis sur Béziers avant de rejoindre la Fédération des Étudiants Nationalistes (FEN), un mouvement néo-fasciste au sein de laquelle gravitent de nombreux partisans de l’Algérie française, et qui dans son « manifeste de la classe 60 », appelle à la formation d’une « élite révolutionnaire » : en 1967, Roudier devient responsable de sa section sur Montpellier.

Europe-Action

La revue de la FEN, Europe-Action , va donner à Roudier son identité politique, celle d’un nationaliste-révolutionnaire, et ses maîtres à penser, en particulier Dominique Venner. Quand Europe-Action disparait et devient le Mouvement National du Progrès (MNP), Roudier suit le mouvement, y compris pour les législatives de 1967 sous les couleurs du Rassemblement Européen pour les Libertés, dont les résultats insignifiants vont le détourner pour un temps de la voie électoraliste.

Roudier le "psychopathe"

Car son engagement aux côtés des militants d’ Europe-Action lui a surtout donné l’occasion de s’adonner à sa grande passion : la baston, qui ne l’a jamais vraiment lâché depuis. « C’est au cours du mois de mai [1968] que je réalise “in situ” que le corps humain peut être facilement démultiplié quand on le prolonge par une chaîne de vélo. Je gagne ici définitivement, je crois, une réputation de psychopathe » déclare-t-il sans ambages [3]. Roudier est alors un nationaliste un peu perdu, et, tout anticommuniste qu’il soit, il regarde avec envie les « gauchistes », dont il admire la rigueur doctrinale et les pratiques militantes, en train de remporter la mise de la « révolution » qui se déroule sous ses yeux.

Nicoud
Gérard NIcoud, que Roudier va croiser en 1970 au cours des émeutes de nuit des viticulteurs à Béziers : sur la photo extraite du journal Minute, on peut voir Richard s’en donner à cœur joie.

Mais du côté des idées, rien ne change : s’il ne rejoint pas le GRECE d’Alain de Benoist car il ne se reconnait pas dans l’admiration de ce dernier pour les grands blonds aux yeux bleus (Roudier est lui-même petit et brun), il reste fidèle à un ethno-nationalisme qui était déjà celui de la FEN, et se convertit au combat « métapolitique » prôné par de Benoist. Au début des années 1970, il s’engage ainsi aux côtés du néo-poujadiste Gérard Nicoud dans les luttes des viticulteurs autour de Béziers, mais surtout dans l’occitanisme.

Poble D’Oc

Contrairement à la plupart des Identitaires, dont le régionalisme de pacotille se limite à agiter quelques éléments de folklore, l’attachement de Roudier à l’Occitanie et à sa langue, qu’il commence à apprendre adolescent, est à la fois ancien et authentique. C’est également au sein de la lutte régionaliste occitane qu’il fait la connaissance de sa femme Maryvonne, avec qui il fonde en 1971, en compagnie d’un ancien d’Occident, Jean-Louis Lin, le petit mouvement Poble d’Oc, qui se présente comme « autogestionnaire » et héritier de la Commune de Paris, mais dont la dizaine de militants sont pour l’essentiel issus d’Europe-Action, d’Occident ou d’Ordre nouveau.… Une stratégie confusionniste telle qu’elle fut définie par le Rassemblement socialiste européen, qui invitait les nationalistes à noyauter les milieux gauchistes, et ici appliquée par Roudier, mais sans succès, Poble d’Oc ayant toujours suscité la méfiance des milieux occitans, qui ne se laissent pas abuser et le qualifient volontiers de fasciste. Quand, au milieu des années 1970, Jean-Louis Lin donne à Poble d’Oc une orientation internationaliste, en particulier en soutenant le peuple palestinien, et que le mouvement se repositionne comme fédéraliste et libertaire, c’en est trop pour Roudier, qui s’en éloigne en 1976.

Roudier est toujours intarissable sur son engagement régionaliste, qui représente pour lui le premier cercle du combat identitaire, qu’il définit ainsi : « être identitaire, c’est vivre chaque jour son enracinement : se dire blanc, occidental, européen, français est vide de sens s’il n’y a pas à la base une identité locale forte ». Cela lui permet aussi de se revendiquer proche du peuple, le « vrai », celui des petites gens. En revanche, il est en général bien plus discret en ce qui concerne ses choix professionnels à la même période. Après des études de droit, Roudier devient en effet attaché de direction au sein de Cameron, une entreprise bittéroise spécialisée dans le matériel de forage pétrolier. [4].

Roudier au service du patronat

Ainsi, celui qui se considère aujourd’hui « du côté du peuple et des travailleurs » était alors surtout du côté du patronat, et lui qui se dit « traditionnellement tourné vers la nature » n’hésitait pas à participer, sur le plan professionnel du moins, à la destruction et la pollution de l’environnement. Mais les temps ont changé, et aujourd’hui il y a moyen de faire du business avec le bio et le retour à la terre : à Saint-Julien de la Nef, au pied du Mont Aigoual, dans les Cévennes, la famille Roudier propose ainsi des chambre d’hôtes au Château d’Isis, mais pas exactement pour les prolétaires (263 euros la nuit pour quatre personnes en pension complète, quand même).

Chateau d’Isis
En haut, l’image d’Épinal pour attirer le clients. En bas, les activités militantes et musclées que les clients ne voient pas…

C’est justement à la fin des années 1980 que Roudier rachète, pour 700 000 francs à l’époque (environ 165000 euros aujourd’hui) ce château en mauvais état, qui va devenir non seulement son lieu de vie et une source de revenus, mais aussi assez logiquement, le centre de son activité politique à venir, et en particulier le siège de son mouvement actuel, la Ligue du Midi. À la même époque, Richard Roudier fait une pause dans ses activités militantes pour se consacrer à sa famille, qu’il considère comme « une phalange spartiate » : sa femme mais aussi ses trois enfants partagent en effet son engagement nationaliste.

Roudier, 100% raciste

C’est d’ailleurs quand ses deux fils, Olivier et Martial, rejoignent en 1998 le groupuscule nationaliste-révolutionnaire Unité radicale (UR), que Richard Roudier remet le pied à l’étrier. Il lui arrive ainsi de coordonner le service d’ordre du mouvement lors de la tenue de meetings, avant de rejoindre, sous le pseudonyme Jorgi Rougemas, le comité exécutif du mouvement en 2001, en charge de la formation et des problèmes de sécurité. Ce retour au militantisme est aussi l’occasion de renouer avec de vieilles habitudes, y compris contre d’autres nationalistes : Roudier père et fils échangent ainsi quelques coups avec Yvan Benedetti et quelques militants de Jeune Nation en marge d’une réunion d’UR à Lyon en avril 2002.

UR

Mais Roudier se lamente de la pauvreté doctrinale d’UR et surtout des préoccupations géopolitiques et idéologiques (en particulier un antisémitisme à peine masqué) défendues par le dirigeant d’UR Christian Bouchet. Ainsi, en février 2002, Richard Roudier et deux jeunes skinheads d’UR, Philippe Vardon et Fabrice Robert, pousse Bouchet vers la sortie, tandis que, le 14 juillet de la même année, un militant proche d’UR, Maxime Brunerie, tente d’assassiner le président Chirac nouvellement élu… Unité radicale va être dissoute dans la foulée, ce qui va permettre à Roudier, Vardon et Robert de créer les Identitaires.
La Horde

À venir prochainement : La famille Roudier, des fachos à la ferme : le père (2)

Notes

[1R. Roudier, Le Glaive et la Charrue , 2013, page 201

[2Les éléments biographiques de la jeunesse de Richard Roudier sont pour l’essentiel extraits de son autobiographie auto-éditée, Le Glaive et la Charrue , publiée en 2013.

[3ibidem.

[4L’Indépendant , Edition du 25 février 2010