Lu sur le site Cévennes sans frontières :
Le 27 novembre, le décret-loi Salvini intitulé « Sécurité et immigration » est entré en vigueur. Les premières conséquences de cette nouvelle loi sécuritaire ne se sont pas faites attendre. Quelques jours plus tard, 26 réfugiés bénéficiant d’une protection humanitaire régulière, ont été expulsés de leur foyer d’accueil puis placés dans un bus qui les a laissés devant la gare de Crotone (Calabre) sous la pluie battante, démunis et sans logement. Parmi eux, un jeune couple avec un bébé de 5 mois. Le quotidien La Repubblica du 1er décembre 2018 indique que quelque 40’000 demandeurs d’asile peuvent être jetés à la rue de la sorte en cas d’application stricte de ce décret-loi.
Un durcissement exacerbé de la politique anti-migratoire
Cette nouvelle législation portée par le ministre de l’intérieur Matteo Salvini est en droite ligne avec les déclarations xénophobes qu’il n’a cessé de proclamer depuis son arrivée au pouvoir dans le gouvernement italien et traduit sa volonté de venir à bout du système de protection des étrangers. En voici les principales dispositions (Nous reprenons des informations parues dans les articles suivants : Le décret Salvini donne une garantie au patronat, attaque les demandeurs d’asile, les immigrant·e·s, comme les travailleurs et travailleuses en lutte et Decreto sicurezza, assist alle mafie e caos totale) :
. L e décret-loi supprime le permis de séjour pour raisons humanitaires. Ce permis protégeait les personnes qui avaient fui des pays bouleversés par des guerres, des catastrophes naturelles ou des troubles politiques. La décision de l’abolir est particulièrement dure et touchera un grand nombre de personnes, étant donné que la protection humanitaire est la principale forme de protection accordée par l’Italie. Au lieu de celle-ci, des permis pour des « cas particuliers » , sont prévus mais dont les critères d’obtention sont si exceptionnels et restrictifs qu’ils ne seront vraisemblablement que très peu délivrés. L’autorisation peut par exemple être accordée aux victimes d’ « exploitation grave du travail » , à des personnes qui sont dans des « conditions de santé de gravité exceptionnelle » ou à celles qui viennent d’un pays se trouvant dans une situation de « calamité extraordinaire » . La durée de la protection est très limitée : de 6 mois à 2 ans selon les cas, une sorte d’aumône pour les personnes remplissant ces conditions… Autre point dramatique, les « cas particuliers » sont exclus du système national de santé (dont l’accès est attribué uniquement aux bénéficiaires d’une protection internationale – statut de réfugié ou protection subsidiaire), ce qui fait que la majorité des migrants et des réfugiés ne peuvent bénéficier de soins médicaux ou d’aide psychologique.
. Il prolonge et durcit les mesures restric tives visant les demandeurs d’asile et les migrants. La durée de détention pour les personnes en attente d’expulsion enfermées dans les CPR (Centres de rétention et de rapatriement) passe de 90 jours à 180 jours. Les personnes arrêtées à l’occasion du franchissement irrégulier de la frontière ou arrivées sur le territoire national à la suite d’opérations de sauvetage en mer peuvent être quant à elles bloquées dans des hotspots pour une durée allant jusqu’à 30 jours dans l’attente de la vérification de leur identité et de leur nationalité. Lorsque celles-ci ne sont pas obtenues dans le délai imparti, elles sont maintenues dans les centres de rétention les plus proches pendant 180 jours au maximum, où, le cas échéant, si ceux-ci sont pleins, elles demeurent bloquées aux postes frontières. Cette législation procède essentiellement à une criminalisation de l’immigration en procédant à une sorte de détention préventive pour les personnes qui n’ont commis aucun crime autre que d’échapper à des situations insoutenables dans leur pays d’origine. Cela signifie, en bref, la possibilité d’être retenu pour de très longues durées.
. Il vide les structures du « système d’accueil » italien pourtant les moins mal doté e s en terme de moyens. Les portes des SPRAR (Système de protection pour les demandeurs d’asile et les réfugiés) sont fermées aux personnes bénéficiant d’une protection humanitaire et aux demandeurs d’asile : l’accès est réservé aux personnes en possession de la protection internationale et aux mineurs non accompagnés. Cela implique davantage de personnes ré-orientées vers les grandes structures où s’entassent les résidents, tels les CARA (Centres d’accueil pour demandeurs d’asile) ou les CAS (Centre d’accueil temporaire), et où apparaissent les plus mauvaises conditions d’accueil, le moins de contrôle sur la gestion des fonds, le moins de services. Il renforce les centres de détention administrative (CPR, Hotspot), c’est-à-dire précisément les lieux où les abus contre les migrants par les responsables, la police et les carabiniers sont les plus fréquents, et où leurs droits les plus fondamentaux sont piétinés.
. Il introduit la révocation de la citoyenneté italienne pour un ex-étranger qui a été condamné pour des crimes de « subversion de l’ordre constitutionne l » ou de « terrorisme » (une mesure que certains juristes considèrent comme inconstitutionnelle). Il double le temps d’attente pour obtenir une réponse à la demande de naturalisation, le faisant passer de 2 à 4 ans. Et contrairement à la législation précédente, il prévoit que l’accès à la citoyenneté peut être refusé aux personnes mariées à un citoyen italien ou à une citoyenne italienne.
. Un autre point très problématique du décret concerne le renouvellement des titres de séjour pour des raisons humanitaires qui devront être requalifiés en « permis de séjour pour raisons de travail » , ce qui donne une arme puissante aux employeurs. Les travailleurs étrangers sont facilement soumis à un chantage car l’objectif de la conversion du permis de séjour les conduira à accepter toutes les conditions de travail : durées de travail épuisantes, tâches non rémunérées à accomplir, impossibilité de se rebeller. Il est clair que le risque de licenciement et l’échec de la transformation du permis de séjour qui s’ensuit amènent les travailleurs à accepter l’inacceptable. Le travail non déclaré est aussi solide que ramifié sur le territoire italien et les travailleurs étrangers peuvent facilement être obligés d’accepter les situations les plus précaires dans l’espoir de signer un contrat régulier à l’avenir. Sans « raisons de travail » , le permis n’est pas renouvelé et le risque d’expulsion est réel. Le scénario qui s’ouvre est sombre : les migrants sont exploités jusqu’à l’épuisement avec la promesse d’un contrat régulier.
L’immigration comme levier politique, économique et répressif
Malgré ses déclarations tenues lors de sa campagne électorale de renvoyer 600 000 « illégaux » du pays, le ministre de l’intérieur Salvini sait qu’il ne peut pas tenir sa promesse. D’abord parce que le processus d’expulsion est long, complexe et très coûteux, ensuite, parce que l’Italie n’a pas signé d’accord de réadmission avec la plupart des pays d’origine des étrangers (à l’exception du Nigeria, de l’Égypte, du Maroc et de la Tunisie). Les annonces du gouvernement Lega-Cinquestelle sont ainsi de la pure propagande bâtie sur le dos des migrants et des demandeurs d’asile. C’est là le double méfait du décret, qui, d’une part rend les conditions de vie des étrangers encore plus dramatique et, de l’autre, empoisonne l’atmosphère politique et sociale du pays. Chaque jour, les chroniques rapportent des épisodes de xénophobie et de racisme, reflétant le bruit dominant de la peur alimentée par le haut. Les campagnes médiatiques agressivement menées pour le recensement de la population Rom ou celles diffamant des solidarités comme celles mises en place dans le village de Riace ou au large de la Méditerranée en sont un exemple.
En outre, maintenir une partie de la population dans l’illégalité permet d’alimenter en main d’œuvre de larges pans de l’économie capitaliste italienne. L’exploitation du travail non déclaré est un outil primordial pour rester à flot dans la concurrence mondialisée, elle concernerait 3,3 millions de travailleurs pour une production de plus de 77 milliards d’euros par an. Cette loi est donc un cadeau pour les entreprises, qu’elles soient légales ou mafieuses, parce qu’elle place dans leurs griffes des dizaines de milliers de personnes totalement sans protection. Le résultat prévu est de produire une nouvelle masse de migrants « irréguliers » . Selon le Conseil italien pour les réfugiés, d’ici 2020, aux 500’000 à 600’000 personnes « irrégulières » actuelles s’ajouteront 130’000. Cela permettra d’augmenter la réserve de main-d’œuvre pour les tâches les plus lourdes, les plus dangereuses et les moins bien rémunérées.
Le gouvernement Lega-Cinquestelle n’innove pourtant pas dans le maintien des populations étrangères dans des conditions d’extrême précarité et dans le combat mené contre elles pour les priver d’un séjour légal dans le pays. Il pousse encore plus loin les restrictions déjà portées par les précédents gouvernements. La loi Bossi-Fini de 2002 ajoutait des éléments importants du processus de criminalisation des immigrés et renforçait le lien entre le « contrat de séjour » et le statut d’emploi. Les décrets promus et signés par les ministres Minniti et Orlando en 2017 avaient renforcé les procédures d’expulsion et facilité la détention des migrants pour une période maximale de 90 jours dans des centres d’enfermement situés dans des zones éloignées de la population.
La ruse de Salvini est précisément de donner une forme dramatique à sa gouvernance en jouant sur la peur et la haine de l’étranger, même si cette méthode est depuis longtemps et de partout largement utilisée à des fins de gestion de la question de l’immigration. Mais cette hystérie sécuritaire que le gouvernement Lega-Cinquestelle a habilement créée contre les demandeurs d’asile et les immigrés a également servi à frapper – conjointement et de manière plus large – l’ensemble de la population la plus fragilisée et la plus susceptible de se révolter. Le décret réintroduit par exemple le délit d’entrave à la circulation (tel les barrages routiers) avec des peines de 2 à 12 ans, il augmente les condamnations pour celles et ceux qui occupent des maisons avec des peines d’emprisonnement allant jusqu’à 4 ans, il permet l’équipement de la police municipale avec des pistolets Taser, il étend les possibilités d’interdiction d’accès à une manifestation, à une ville, etc., et introduit le délit de harcèlement pour mendicité pour lequel il prévoit un emprisonnement de trois à six mois, et une amende de 3000 à 6000 euros. Ainsi, les conditions pour maintenir la part utile de population à un niveau de précarité nécessaire à l’économie et celles pour se doter des moyens sécuritaires de contenir d’éventuelles protestations, s’illustrent parfaitement à travers les dispositions législatives du décret-loi Salvini.
Le concept d’immigration vue à travers le prisme sécuritaire continue ainsi de se propager avec ce nouveau décret-loi. Les gouvernements des pays d’Europe, et plus largement à l’échelle internationale, entérinent des législations toujours plus restrictives en matière de protection sociale et humanitaire (comme l’a montré récemment en France le vote de la loi Asile Immigration) et bafouent bien souvent en toute impunité les droits acquis des concernés. La question migratoire se retrouve actuellement prise dans la tourmente d’une instrumentalisation éhontée et est livrée à la merci des différents échiquiers politiques et financiers du moment. La réalité propre de ces enjeux, et la possibilité d’apporter des réponses satisfaisantes, se trouvent ainsi parasitées par les déclarations et les propositions émises par une très large classe politique rivalisant tour à tour dans le domaine du cynisme. On peut prendre comme exemple, celles de la ministre danoise de l’immigration Inger Støjberg proposant de parquer les demandeurs d’asile sur une minuscule île isolée à peine desservie par les ferrys, ou celle du premier ministre hongrois Viktor Orbán de taxer à 25 % les dons reçus par les associations qui traitent du sujet sous un angle trop positif. Cette sordide surenchère s’appuie évidemment sur les liens amalgamant depuis des décennies les thèmes de l’insécurité, de la migration, du chômage ou du terrorisme. Il en découle en conséquence une catégorisation de la population, où les immigrants deviennent des « clandestins » , et les plus précaires sont en passe d’être des « criminels » . Cette hiérarchisation sociale, permet alors de justifier et de légitimer ce système d’exclusion et de suspicion, de le rendre acceptable. Pour autant, il importe plus que jamais de faire changer de sens ce souffle brun et nauséabond qui sévit dans de trop nombreux pays, et de lui opposer, en guise de lutte contre les inégalités et l’exploitation, une résistance nette et déterminée.