Quatrième volet de l’article de Stéphane François consacré au rôle de l’islamophobie dans le discours de l’extrême droite française, en particulier au RN (ex-FN), après avoir expliquer le rôle de l’islamophobie dans le discours populiste du RN, puis décrit sa politique identitaire et enfin avoir déconstruit le mythe de "l’islamisation de la France".

Dès lors, ces formations centrèrent l’essentiel de leur stratégie, de communication et de leurs actions, sur la dénonciation du danger représenté par l’islam, ce thème présentant un fort potentiel de mobilisation. Ce refus d’une supposée islamisation de la France est conçu par certains militants d’extrême droite comme un acte de résistance dans le cadre d’une « guerre ethnique » de colonisation, cette problématique étant effective dès avant le 11 septembre 2001, en particulier dans La Colonisation de l’Europe , ouvrage largement diffusé, lu et commenté dans les milieux radicaux : l’Europe serait soumise à une colonisation afro-maghrébine ; les viols collectifs, les « tournantes », qui faisaient la une de l’actualité dans les années 2000 seraient des opérations d’« épuration ethnique », et il faudrait enclencher une seconde « Reconquista » pour reconquérir ces territoires perdus. Pour cela, les théoriciens les plus radicaux souhaitent organiser l’alliance du monde blanc, en fait une alliance des groupuscules les plus identitaires.

Le-Pen-Reconquista
En 2013, Jean-MArie Le Pen recommande la lecture de "Reconquista", publié par Riposte laïque.

Ce discours était déjà présent au sein du Front national, avec les positions défendues par Bruno Mégret. Dès 1989, lorsque nous sommes à la fin de la Guerre froide et que le Front national passe de l’anticommunisme au populisme, il lançait une revue doctrinale intitulée Identité , considérant que la chute des régimes communistes entérinait un basculement géopolitique. Il affirmait que « l’affrontement politique principal n’est plus celui du socialisme marxiste contre le capitalisme libéral », mais « celui des tenants du cosmopolitisme contre les défenseurs des valeurs identitaires » [1]. Le discours idéologique frontiste se radicalise alors et insiste sur les premières affaires du foulard musulman dans l’espace public, en particulier à Épinal et à Creil.

Dans Identité , Bruno Mégret condamne déjà la « volonté de déracinement ethnique, volonté de métissage culturel » du « système », qui utiliserait l’immigration pour assurer une « colonisation » de la France par un islam conquérant. Ce discours complète utilement les thèses de Le Gallou sur la « préférence nationale ». Le Front national se présente dorénavant tel le parti de la « Résistance » à l’islamisation de la France. Surtout, Mégret se radicalise dans une optique identitaire : en 1991, il fait connaître ses « 50 propositions sur l’immigration » dans lesquels il propose une vague de dénaturalisation au motif que l’identité française serait liée au sang. Malgré l’échec de la scission mégretiste en 1999, la stratégie d’édulcoration/reformulation de Mégret sera intégrée intellectuellement par plusieurs personnes qui le suivront, mais qui retournèrent plus tard au Front national, tel Nicolas Bay, aujourd’hui vice-président du Rassemblement national. De fait, nous retrouvons plusieurs mégrétistes dans l’entourage proche de Marine Le Pen (Philippe Olivier, Bruno Bilde, Steeve Briois, etc.).

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Le MNR de Bruno Mégret a été un des premiers mouvements politiques d’extrême droite à cristalliser ses attaques contre les musulmans. À l’époque, Nicolas Bay n’y trouvait rien à redire…

L’exaltation identitaire est politiquement porteuse à compter des années 1990. Elle envahit les extrêmes droites car elle permet d’exprimer très différemment, par le « respect des identités », le rejet des métissages biologiques et culturels. Cet ethnodifférentialisme, sous ses différentes variantes (extrême ou subtil), se retrouve, au début des années 2000, dans les discours des mouvements dits « identitaires » et du FN. En effet, pour ce parti l’islam est une religion agressive dont le but serait la soumission culturelle et politique de l’Europe, en particulier de la France, au multiculturalisme. Ce dernier serait imposé par des élites « immigrationnistes ». Pour l’extrême droite, l’objectif de cette politique, vue comme irresponsable, serait l’imposition de « dhimmitude » par l’islam – par nature totalitaire et conquérant, c’est un leitmotiv chez eux. Cette peur est associée à l’idée que cette religion serait en passe de devenir numériquement majoritaire en France, par le biais d’une immigration de peuplement de populations musulmanes. Cette reprise du thème de l’« Eurabia » de l’essayiste britannique Bat Ye’Or (Gisèle Littmann) est l’une des bases du discours national-populiste européen, mais surtout une théorie du complot analysant l’histoire contemporaine au prisme d’une mythique alliance conspirationniste au profit de l’islam politique. Le parti reste donc viscéralement opposé à l’immigration.

Parallèlement à ce discours altérophobe, le Front national a également beaucoup insisté sur le discours économique depuis quelques années, en particulier sur la désindustrialisation de la France. Cependant, dans ce domaine, le Front national revient de loin. En effet, dans les années 1980, Jean-Marie Le Pen se présentait comme le « Reagan français » et prônait, au niveau économique, une politique ultralibérale. En 2007, le programme du Front était encore très libéral. Jusqu’à une date récente, ce parti a brillé par son absence dans toutes les luttes sociales… Le tournant ne s’est fait qu’après, aux alentours de 2010. Son évolution dans ce domaine est liée à l’évolution sociologique de son électorat qui passe d’une bourgeoisie conservatrice, très « vieille France » à un électorat populaire, favorable à un volontarisme économique. La « préférence nationale » est rebaptisée « patriotisme social » par Marine Le Pen, qui se présente comme la défenseuse des services publics contre les ravages de la mondialisation. Ce thème a été d’autant plus efficace que la désindustrialisation s’inscrivait dans une déconstruction globale des sociétés des démocraties de marché.

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Notes

[1Bruno Mégret, « Le basculement géopolitique  », La Lettre de Jean-Marie Le Pen , 1er décembre 1989