Le président Macron fustigeait hier à Mulhouse le « séparatisme islamiste », tandis que des élus de droite s’émeuvent de la présence de liste « communautaristes » musulmanes aux élections municipales à venir. Or il existe bien en France un parti politique religieux intégriste et qui s’est déjà présenté à des élections : mais n’en déplaise à nos politiciens obsédés par l’islam, il n’est pas musulman, mais bien catholique, et son programme, le retour à la chrétienté, n’est ni plus ni moins que l’application stricte des préceptes de son dogme à l’ensemble de la société.
Lors des précédentes élections européennes, des Républicains comme Xavier Bertrand, Gérald Darmanin ou encore Bruno Retailleau se sont scandalisés de la présence de quelques listes de l’Union des démocrates musulmans de France (UDMF), accusée de « communautarisme », demandant même leur interdiction. Le 3 février dernier, une proposition de loi constitutionnelle a été déposée au Sénat par Philippe Bas, visant à « garantir la prééminence des lois de la République face à la fragmentation communautariste ».
Ce fantasme des « listes communautaires », qui ne concerne évidemment que des listes se revendiquant musulmanes, a été analysé par Julien Talpin, chargé de recherche en science politique au CNRS, dans une étude publiée sur le site The Conversation. Il en ressort que si l’UDMF dit s’inspirer de la démocratie chrétienne, représentée en France par le très réactionnaire Parti Chrétien Démocrate de Jean-Frédéric Poisson [1] , le positionnement politique de ces listes est généralement au centre, voire de centre-gauche, avec au cœur de leur programme des questions comme la sécurité ou l’accès à l’éducation, et certainement pas d’imposer la charia à l’ensemble du corps social, ni même d’être en "rupture" avec la République. Non, ce genre de projet, c’est un parti solidement ancré à l’extrême droite et farouchement catholique qui le porte : c’est Civitas, présidé par Alain Escada.
Il y a trois ans, nous avions déjà en détails raconté les origines puis la transformation du mouvement en parti politique en 2016. Depuis, Civitas a poursuivi bon an mal an son développement, en particulier en tentant, pour l’instant sans aucun succès, de s’implanter localement en profitant pour cela de diverses échéances électorales.
Civitas et l’action locale
Pour la première fois aux législatives de 2017, le parti a présenté des candidat·e·s dans 14 circonscriptions, n’obtenant pas plus de 0,5% des suffrages, à l’exception de la 5e circonscription de la Loire où Civitas a péniblement obtenu un peu plus de 1% (548 voix).
Aux élections européennes de 2019, Civitas avait tenté de monter une liste, mais avait finalement jeté l’éponge. En revanche, le parti s’est très tôt investi dans la campagne pour les municipales de mars 2020, appelant à monter des "listes d’intérêt municipal", proposant sur son site des "kits" pour les futurs candidats et consacrant tout le numéro d’hiver de sa revue à cette question. Enfin, pour assurer la formation des futur·e·s candidat·e·s, Civitas a reçu le concours de deux anciens candidats du Front national, Valérie Laupies et Yves Crubellier, que nous vous présenterons en détail dans les prochains jours.
Cet intérêt pour l’action locale n’est pas nouveau : en 2015, Civitas avait déjà consacré son université d’été au travail d’entrisme que ses membres doivent mener « afin de s’impliquer dans la politique communale et dans l’action culturelle et sociale locale ».
Le projet n’est pas donc pas tant de réussir à emporter une mairie, que de constituer un réseaux d’élus cathos intégristes, soit en montant des listes sans étiquette politique, soit en réussissant à s’inviter dans des listes. Difficile pour le moment d’avoir vraiment une visibilité de la présence de Civitas tant que toutes les listes n’ont pas été déposées : en revanche, le projet du mouvement national-catholique est lui très clair : " restituer les communes au christ-roi ".
La défense de la Chrétienté
Civitas n’est pas seulement une organisation traditionaliste, réactionnaire, outré par la "cathophobie", l’avortement et le mariage gay. C’est avant tout un mouvement politico-religieux dont le projet est le rétablissement de la chrétienté en France. Civitas ne se contente pas de défendre le christianisme (c’est-à-dire la religion fondée sur l’enseignement du Christ), mais bien la chrétienté, qui ne se confond pas avec l’ensemble des peuples chez lesquels le christianisme prédomine (car le christianisme peut exister sans chrétienté) : la chrétienté n’existe que lorsque l’action sociale des catholiques forme l’ordre politique en tant que tel, quand les enseignements de la foi chrétienne sont les principes directeurs dans tous les domaines (économique, politique, scientifique, philosophique, artistique…).
Cette chrétienté n’est d’ailleurs pas présenté comme un choix : " Tout pouvoir donné au Christ et Il a confié à l’Église la mission d’enseigner ce qui est nécessaire pour faire la volonté de Dieu. Aucune société ne peut refuser cet enseignement infaillible. » [2]. Par ailleurs, la chrétienté n’est pas une utopie qu’il s’agirait de réaliser, mais quelque chose qui a été perdu et qu’il s’agirait de rétablir.
Comme le disait le pape Pie X [3] au début du XXe siècle : " la civilisation n’est plus à inventer, ni la cité nouvelle à bâtir dans les nuées. Elle a été, elle est. C’est la civilisation chrétienne, c’est la cité catholique. Il ne s’agit que de l’instaurer et la restaurer sans cesse sur ses fondements naturels et divins contre les attaques toujours renaissantes de l’utopie malsaine, de la révolte et de l’impiété. "
Et pour ses partisans, la chrétienté a bel et bien existé de 326, date de la conversion de Constantin (premier empereur romain chrétien) jusqu’à la Révolution française : c’est à partir de cette date que la chrétienté a progressivement disparu, l’Église catholique en étant le dernier vestige. Voilà pourquoi Civitas développe avant tout un discours contre-révolutionnaire : la révolution, c’est la négation légale du règne du Christ sur la Terre. Car Satan, on le sait bien, est le père de toutes les rebellions : laïcisme médiéval, humanisme, protestantisme, les Lumières, la Révolution française, puis toutes les révolutions suivantes, jusqu’à mai 68 !
Civitas ne prône pas la rupture avec l’Église catholique, mais dénonce qu’en son sein, y compris au plus haut niveau ecclésiastique, certains tentent de réconcilier l’irréconciliable : les « droits de l’homme » révolutionnaires avec les lois de Dieu, l’acceptation des principes de laïcité et de tolérance : pour les partisans de la chrétienté, ces renoncements sont le résultat final d’une longue série de complots.
Ainsi en est-il de la laïcité. Pour Alain Escada [4], « la laïcité n’est qu’un simulacre de religion que la république maçonnique a voulu substituer au catholicisme qui était la foi de la très grande majorité des Français jusqu’à la Révolution de 1789. » Ce que demande Civitas, c’est ni plus ni moins que l’abrogation de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat et le rétablissement du catholicisme comme religion d’Etat : « c’est signifier à la fois à l’UOIF, au CRIF et au Grand Orient qu’ils peuvent faire leurs valises », poursuit Escada.
Antisémitisme décomplexé
C’est aussi dans ce cadre qu’il faut comprendre l’antisémitisme de Civitas, qui n’est pas un simple héritage maurassien ou pétainiste, mais à la fois un pivot idéologique pour la défense de son projet politique, et aussi une façon de se démarquer des principaux mouvements de l’extrême droite française, comme le Rassemblement national, convertie selon lui au « national-sionisme », un concept autour duquel le mouvement d’Escada a poursuivi son rapprochement avec Égalité & Réconciliation en 2018 (la quasi totalité du « conseil scientifique » de Civitas est constitué de personnalités éditées ou diffusées par Soral).
On notera au passage que si l’antisémitisme racialiste du XIXe siècle s’est ringardisé, ce n’est pas le cas de l’antisémitisme moderne d’inspiration chrétienne qui n’a pas pris une ride, du moins pour les défenseurs de la chrétienté. Car, faut-il le rappeler, cet antisémitisme-là ne date pas de l’affaire Dreyfus, mais du lendemain de la Révolution de 1789, catastrophe pour le camp catholique, qui doit pouvoir désigner les responsables : les protestants d’abord, puis les francs-maçons, puis, dès 1807, les Juifs. Cet antisémitisme chrétien modernisé connait à la fin du XIXe siècle une nouvelle vigueur avec l’affaire Mortara, et la naissance de l’Alliance israélite universelle, très vite considéré dans les milieux catholiques comme à la fois les responsables des difficultés du Vatican et des tourments révolutionnaires, et plus largement comme la preuve de l’existence d’une conspiration juive mondiale (50 ans avant les Protocoles des Sages de Sion !). À chaque défaite du camp catholique (lois scolaires, loi sur le divorce, etc.), à chaque nouveau mouvement révolutionnaire qui fragilise un peu plus la prédominance catholique, on pointe du doigt le bouc-émissaire juif, avec en point d’orgue la publication en 1886 de La France Juive d’Édouard Drumont, qui ne s’embarrasse pas de subtilité dès la première page : « L e seul auquel la Révolution ait profité est le Juif. Tout vient du Juif : tout revient au Juif. » Pour Drumont, cette « France juive », c’est la France républicaine, laïque et moderne.
"L’immigration ? la faute aux Juifs"
Un siècle plus tard, si parmi les catholiques, les préjugés antisémites demeurent certes, mais ni plus ni moins que dans le reste de la population, ce n’est pas le cas de nos défenseurs de la chrétienté, qui continuent à en faire la pierre angulaire de leur discours politique.
Quand Civitas s’oppose à l’immigration, il croit savoir qui tire les ficelles. Son président Alain Escada, en 2016, lors de la fête organisée pour les 65 ans de l’hebdomadaire antisémite Rivarol , n’y va pas par quatre chemins : « Pour combattre l’immigration, encore faut-il comprendre que celle-ci est orchestrée dans le cadre d’un plan mondialiste. » En 2018, aux journées de Synthèse nationale, il précise : " Ce n’est pas parce que nous refusons à juste titre l’immigration de grand remplacement et l’islamisation de notre pays, que nous avons à livrer celui-ci à l’influence d’Israël. (…) Si la France redevenait fidèle à son baptême, à sa mission, à son influence salvatrice, alors elle s’exporterait pour le bien du monde, mais à l’inverse du plan du nouvel ordre mondial, et de son messianisme judéo-maçonnique. » Dans le manifeste contre le "national-sionisme", dont la promotion est assurée conjointement par Civitas et par Égalité & Réconciliation, on peut lire : " parce que le premier « grand remplacement » fut d’abord celui qui s’est opéré partout dans les médias... Parce que pas de « grand remplacement » sans grand remplaceur... Parce que la communauté juive de gauche est la principale responsable de l’immigration de masse et la communauté juive de droite la principale responsable de la radicalisation communautaire.. ." Et pour ce qui concerne les musulmans, Civitas, sur la question du voile notamment, comprend leurs revendications, mais Escada précise : " je me souviens d’un ancien slogan, « Gardez vos foulards et mettez les voiles », qui était moins simpliste qu’il n’y paraît. Je peux bien admettre que nombre de musulmans souhaitent vivre strictement selon l’islam. La meilleure façon d’y arriver, c’est de remigrer. »
Mobilisons-nous face au retour des morts-vivants !
Si les résultats électoraux de Civitas restent insignifiants, si son projet de rétablissement de la chrétienté sent le moisi, si on peut s’amuser des pitreries de son président Alain Escada, il n’en reste pas moins un mouvement politico-religieux fondamentaliste ayant pignon sur rue, qui peut présenter des candidats, organiser des campagnes publiques par voie d’affiches, des conférences, des manifestations de rue, un rassemblement annuel d’un millier de personnes (sa prochaine "fête du Pays réel" se déroulera sur deux jours à la fin du mois de mars), sans que nos vaillants "défenseurs de la République" cités en début d’article n’y trouvent rien à redire…
Mais peu importe : car pour contrecarrer Civitas et son projet, c’est à nous de nous mobiliser ! Les occasions, en ce printemps, ne manqueront pas. S’opposer au mouvement d’Alain Escada, c’est non seulement marquer notre refus de vivre dans un monde régenté par la religion, mais aussi rappeler qu’ici en France, contrairement à ce que l’on peut entendre, l’intégrisme le plus virulent et le plus organisé n’est pas forcément celui qu’on croit…
La Horde