Le samedi 7 juin, les néonazis allemands avaient prévu de défiler à plusieurs centaines à Dresde, dans le cadre d’une manifestation pompeusement baptisée Tag der deutschen Zukunft ( TddZ , Journée de l’Avenir allemand). Organisée pour la sixième année consécutive, elle avait lieu cette fois-ci dans l’Est de l’Allemagne, où les troupes néonazies sont réputées être les plus nombreuses, après Pinneberg en 2009, puis Hildesheim, Braunschweig, Hambourg et Wolfsburg. Cet événement, qui est devenu un incontournable chez les militants de l’extrême droite radicale, est le fait des Freie Kameradschaften [1], ces organisations relativement souples où se regroupent les néonazis les plus radicaux. En 2010 et en 2011, ils avaient été environ 700 à défiler, mais déjà en 2013, ils n’étaient « plus que » 500 dans les rues de Wolfsburg.
Dresde comme lieu de rendez-vous
Plusieurs raisons ont présidé au choix de la ville de Dresde comme lieu de rendez-vous : tout d’abord le fait que les néonazis sont plus nombreux dans la partie orientale de l’Allemagne, mais aussi parce que la signification symbolique de la ville est fondamentale pour l’extrême droite radicale. D’une part parce que le passé de Dresde (bombardée par les Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale et élevée au rang de ville-martyre par l’extrême droite) revêt une importance symbolique pour les militants d’extrême droite, mais également d’autre part parce qu’ils souhaitent prendre leur revanche sur les antifas qui parviennent depuis plusieurs années à bloquer la « Marche funèbre » organisée le 12 février de chaque année par la mouvance d’extrême droite.
Qui sont les manifestants ?
Christian Worch, Thomas Wulff et Dieter Riefling sont les têtes pensantes de cette initiative. Si l’on met de côté Riefling, de moindre envergure, mais qui a quand même fait ses débuts au FAP[2] de Hildesheim et qui évolue dans la mouvance de Blood & Honour, les deux autres sont des figures de l’extrême droite radicale allemande depuis la fin des années 1980, et ils n’ont guère changé. Worch, actif depuis fort longtemps dans le Nord de l’Allemagne, est passé tout comme Wulff par de nombreuses organisations franchement national-socialistes, dont le GdNF[3] autour de Michael Kühnen, aujourd’hui décédé, qui inventa le concept des Freie Nationalisten (Nationalistes libres), moins facilement vulnérables face aux interdictions de l’État. Wulff, qui se fait appeler aussi « Steiner » du nom du général SS et ne quitte presque jamais sa casquette en cuir pour faire ouvrier, a poursuivi une carrière politique plus ambitieuse en rejoignant en 2001 le NPD, alors que Worch refusait d’y entrer. Jusqu’en avril dernier, il y occupait les fonctions de vice-président pour le land de Hambourg, mais il en a été exclu pour s’être ouvertement déclaré national-socialiste lors d’un discours. Ce genre de déclaration fracassante ne cadre en effet pas avec les consignes du parti qui cherche à éviter une interdiction fédérale. De son côté, Worch a créé en 2012 un nouveau parti, Die Rechte (La Droite ou l’Extrême Droite, selon comment on interprète le terme), comme une sorte de pendant à Die Linke. Leur site est indigent et leurs positionnements radicaux ne laissent guère de doutes sur la traduction à donner à leur nom en français.
La main tendue
Revenons à Dresde : l’objectif de cette journée, cette année, était d’étendre justement la mobilisation au-delà des militants habituels, qu’on pouvait néanmoins reconnaître à leurs t-shirts portant l’inscription « Wie geil ! » (« Trop mortel ! » en français). La similitude phonétique existant entre ce slogan et le « Sieg Heil ! » des nazis est évidente, et on s’imagine sans peine l’effet produit par plusieurs centaines de crânes rasés en train de crier « Wie geil ! » dans les rues de Dresde.
Dans une perspective d’élargissement et d’ouverture de la mobilisation, donc, on pouvait aussi lire ceci dans l’appel de la manif : « En tant que campagne menée par l’aile non encartée de la Résistance nationale, nous tendons la main au bras parlementaire, afin de former un bloc national. » Le bras parlementaire, ce sont, pour les organisateurs, le NPD, Die Rechte et aussi le groupuscule III. Weg[4]. Rien d’étonnant à cette main tendue : en effet, en la personne des organisateurs, on retrouve un fonctionnaire (même si récemment exclu) du NPD et le fondateur de Die Rechte. Quant à III. Weg, il est présent à de nombreuses initiatives lancées par l’extrême droite et il assiste également aux Montagsdemos[5] . La réception de l’appel par le NPD a été plutôt favorable, comme le montre un article paru dans l’organe du NPD, Deutsche Stimme (La Voix allemande), en faveur du TddZ et qui donne la parole aux organisateurs.
Quelle protestation antifasciste ?
Avec le changement de ville tous les ans, l’organisation de contre-manifs ou de blocages antifascistes n’est guère aisé. Un « Forum gegen Rechts » s’est constitué pour mobiliser contre ce défilé. Il était soutenu par des syndicats, des partis et des groupes antifascistes. « Nous, le Forum contre l’extrême droite, faisons acte de désobéissance civile contre ce défilé néonazi. Nous nous déclarons solidaires de tous ceux qui partagent notre objectif qui consiste à empêcher la tenue de cette marche. », dit l’appel antifasciste. Par ailleurs, le Forum inscrit ce refus de la manif d’extrême droite dans un contexte social plus large et signifie clairement que son engagement ne se limitera pas au refus de la présence des néonazis à Dresde.
Une mobilisation moindre, un trajet amputé
Le trajet annoncé ayant été modifié (par les organisateurs, à peine 3km dans la ville), la manif néonazie ne s’est pas terminée à la statue du « Goldener Reiter » (Cavalier doré) tel qu’annoncé sur la page d’info des fachos avant le 7 juin. Il semblerait que ce soit la crainte des blocages antifascistes ou même d’une rencontre avec ces derniers qui soit à l’origine de cette auto-censure des fachos.
Quoi qu’il en soit, environ 450 néonazis se sont rassemblés à Dresde ce jour-là. Ils venaient de Saxe, de Thuringe, de Saxe-Anhalt (voilà pour l’Est de l’Allemagne), mais aussi de Rhénanie du Nord-Westphalie et de Basse-Saxe. Cette mobilisation moindre, inférieure à celle de Wolfsburg l’année précédente, montre que l’extrême droite radicale allemande n’a pas bénéficié de l’effet « Saxe »[6], y compris en termes d’accueil de la manif par les badauds dans la rue.
De même, la main tendue vers les forces parlementaires d’extrême droite est restée sans effet, malgré la présence de cadres des trois partis : il y a eu une prise de parole de Uwe Meenen, du NPD de Berlin et une autre de Karl Richter, vice-président du NPD qui intervenait cependant en tant que représentant de l’initiative citoyenne Ausländerstopp (Stop aux Étrangers). Richter fait partie de ces cadres hauts placés du NPD qui, ces derniers temps, ont violemment critiqué leur parti, y compris en public.
Pour le III. Weg, c’est Rico Döhler qui a pris la parole en fin de manifestation, après Dieter Riefling. Sven Skoda[7], récemment sorti de prison, s’est également exprimé au micro.
Comme c’est l’usage depuis maintenant six ans, le lieu de la prochaine manifestation du TddZ a été dévoilé en fin de manifestation : en 2015, les néonazis se retrouveront dans le Brandebourg pour défiler à Neuruppin, donc à nouveau dans l’Est de l’Allemagne, contrairement à ce qu’avaient institué les précédents rendez-vous.
D’après les articles du site Publikative, voir ici et là.
[1] Les Freie Kameradschaften ont ainsi soutenu les trois terroristes du NSU ( Nationalsozialistischer Untergrund ) en Thuringe (en l’espèce il s’agissait du Thüringer Heimatschutz, THS), alors qu’ils étaient en cavale.
[2] Freiheitliche Deutsche Arbeiterpartei (Parti libre des ouvriers allemands), interdit en 1995, dont l’emblème était une roue crantée noire dans un cercle rouge sur fond blanc.
[3] Gesinnungsgemeinschaft der Neuen Front (Communauté d’Opinion du Nouveau Front), voir ici. Ce groupe était affilié au NSDAP-AO, dont le siège et le leader étaient aux États-Unis. http://reflexes.samizdat.net/spip.php?article276
[4] Dritter Weg (Troisième Voie en français) est un groupuscule NR aux orientations à la fois homophobes et conspirationnistes. On trouve sur son site des articles qui regrettent le temps où l’homosexualité était punie par la loi et d’autres qui font du NSU un complot des services secrets allemands, voire même des États-Unis.
[5] Ces Manifs du lundi (en référence aux manifestations qui précédèrent la chute du Mur à l’automne 1989) sont également appelées Montagsmahnwachen (Veillées du souvenir). Il s’agit de rassemblements hebdomadaires qui ont lieu à Berlin, dont le dénominateur commun semble être une certaine forme de pacifisme (contre la guerre en Syrie ou en Ukraine) et dont la clé de voûte est l’anti-américanisme. À ce mouvement participent toutes sortes de gens dont c’est la première démarche politique et dont les idées sont loin d’être claires. Une grande partie d’entre eux refusent le clivage droite / gauche, et leur anticapitalisme « régressif » comme le qualifient les observateurs antifascistes allemands, se teinte parfois de conspirationnisme confinant lui-même à l’antisémitisme. Certains confusionnistes, tel Elsässer (qui publie le magazine Compact) en font leurs choux gras, et quelques nostalgiques de la RDA voudraient braconner sur les terres de ce qui ressemble furieusement à un nouvel Occupy. Ce sont les mêmes qui, malgré leur appartenance à Die Linke, aimeraient se réapproprier l’idée de patrie ou de Heimat en allemand…
[6] Rappelons que les länder de l’Est sont ceux où les partis d’extrême droite qui se présentent aux élections (générales ou locales) font les meilleurs scores.
[7] Skoda a fait 22 mois de prison pour avoir animé l’Aktionsbüro Mittelrhein, déclaré association criminelle. Militant de l’extrême droite radicale depuis l’adolescence (il animait un répondeur téléphonique d’infos « nationalistes », le Nationales Infotelefon, sur lequel il enregistrait des messages violemment racistes), il s’est ensuite illustré pour ses activités anti-antifascistes. Cet expert en logiciels informatiques montait ainsi des dossiers sur ses ennemis politiques, sur des journalistes mais aussi sur des agents de la Staatsschutz (équivalent de la DCRI française) avec publications de photos et d’adresses privées.