La commission antifasciste du NPA a publié sur son blog un intéressant papier (que nous reproduisons ici) qui revient sur les origines du projet de candidature d’Eric Zemmour.
La première évocation d’un Zemmour candidat remonte à la présidentielle précédente. En 2015, Patrick Buisson pressent, pour les présidentielles de 2017, que « ce qui va se passer aura lieu en dehors des partis. Une nébuleuse prend corps. Si nous pouvons, chacun dans notre registre, contribuer à accélérer ce phénomène, nous aurons accompli notre devoir ». Il imagine une candidature d’Eric Zemmour. Il est aidé de Geoffroy Lejeune, jeune journaliste de Valeurs Actuelles, qui publie une politique-fiction mettant en scène l’élection d’Eric Zemmour. L’idée séduit Philippe de Villiers et pourrait intéresser même Michel Onfray, qui, à la même époque, soutient l’idée de « fédérer les souverainistes des deux bords. Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon partagent nombre de positions ». Vue de droite, une candidature Zemmour est alors celle de ceux qui ne veulent ni de Sarkozy ni de Juppé, tout en évitant Marine Le Pen, « encore trop trash » (Challenges, novembre 2015).
En 2019, pour les élections européennes, Zemmour est approché, selon lui, aussi bien par Marine Le Pen que Dupont-Aignan. Mais le RN ne lui propose pas la tête de liste en Île-de-France. Il décline : « Je pense que je fais un travail utile de métapolitique, de bataille sur les idées, sur les convictions. Je ne me voyais pas membre d’une boutique. Moi je suis pour un grand rassemblement des droites et même des populismes ». Son refus s’explique peut-être déjà par son dédain pour une troisième place derrière un Jordan (Bardella). Dans son délire sur les prénoms, en septembre 2021, Zemmour précisera vouloir « Interdire les prénoms étrangers, pas seulement musulmans. S’appeler Mohamed est une catastrophe parce qu’objet de discrimination. Erreur aussi d’autoriser les Kevin et Jordan ».
Cette même année, 2019, il participe à la Convention de la droite, organisée par la revue L’Incorrect, le cercle Audace, et le collectif Racines d’avenir. Ce milieu constitue sa base militante.
Racines d’avenir est animé par le jeune Erik Tegnèr. Ce neveu par alliance de Jean-Marie Le Chevallier est entré au FN en 2011. Il est porté par la vague Marine Le Pen qui met sur la touche Jean-Marie. Mais l’année suivante, il vote Sarkozy. Il quitte le FN à cause du « virage social » [sic] de Marine Le Pen pour passer à l’UMP. Il est exclu des Républicains après cette Convention de la droite, à cause de sa trop grande proximité avec Marion Maréchal.
Audace est un « réseau réunissant la bourgeoisie entrepreneuriale et conservatrice » dixit Valeurs Actuelles. Ce cercle, fondé en 2014 au sein du FN par Antoine Mellies, est en 2019 dirigé par François de Voyer, un autre proche de Marion Maréchal. Longtemps présenté comme le cercle des jeunes entrepreneurs du FN, il s’en est éloigné. En outre, cette branche lyonnaise de l’extrême-droite (entre l’ISSEP, l’école de Marion Maréchal, Thibaut Monnier et Agnès Marion) n’est pas en odeur de sainteté dans le cercle dirigeant du RN, autour de Marine Le Pen. En 2021, Erik Tegnèr (membre aussi du cercle Audace) et François de Voyer lancent Livre noir, un media en ligne qui multiplie les interviews de figures de la réaco-sphère.
Ce colloque de 2019 affirme « l’indépendance de la droite à l’égard du progressisme, du multiculturalisme et du libre-échangisme ». A cette occasion, Elisabeth Levy (rédactrice en chef de Causeur) se confiait à L’Opinion : « Moi, je parle avec tout le monde. Quand je suis avec Marion et Zemmour, j’ai l’impression d’être de gauche, dans le camp du bien ». Ambiance.
C’est lors de cette convention que Zemmour s’en prend aux immigrés « colonisateurs » et à « l’islamisation de la rue », propos qui lui vaudront d’être mis en examen pour injures publiques et provocation publique à la discrimination, la haine ou la violence. Il y affirme aussi : « Il y a une guerre d’extermination contre l’homme blanc hétérosexuel (...) les jeunes Français vont-ils accepter de vivre en minorité sur la terre de leurs ancêtres ? ». Le ton est donné.
Mais à l’époque, de présidentiable à la Convention des droites, il n’y a guère que Jean-Frédéric Poisson, président du PCD-VIA, qui encourage à la « convergence des conservateurs ». Dans cette optique et pour « remporter la bataille des idées conservatrices », Paul-Marie Coûteaux, l’ami de 30 ans de Zemmour, fonde en 2020 avec Jean-Frédéric Poisson, une revue : le Nouveau Conservateur. Lors de la réunion de lancement, Paul-Marie Coûteaux voit des germes de victoire idéologique dans la crise du coronavirus qui accréditerait le souverainisme, dans l’opposition à la PMA et... dans le succès d’Éric Zemmour. La revue est censée servir de tremplin pour la candidature de J-F Poisson à la présidentielle. Entre temps, c’est une autre candidature qui semble s’imposer. En septembre 2021, J-F Poisson se dit prêt à retirer sa candidature au profit de Zemmour. Début octobre, il confirme son soutien à la candidature de Zemmour, « indispensable dans un contexte où il est le seul à poser la question du redressement de la France en termes de civilisation ».
Début de campagne
D’après l’Express, Zemmour commence à s’interroger sur une possible candidature à la présidentielle, à l’automne 2020, en questionnant Robert Ménard. Le maire de Béziers, partisan de longue date d’une union des droites « hors les murs », commence à échafauder une stratégie, en sollicitant Jacques Bompard. Celui-ci vient avec son fils, Yann Bompard qui prendra la présidence des Comités Zemmour, et avec son directeur de la communication, Joseph-Marie Joly. Cet ancien du Bloc identitaire à Rouen a fait ses armes de journaliste à Oise hebdo (un repère de fachos, selon la Horde). Dans Le petit Daudet, de novembre 2020, le journal de la Ligue du Sud dont Joseph Joly est responsable de la rédaction, Bompard appelle à rejoindre les Comités Zemmour par un « ne soyons pas des complotistes, soyons des conspirateurs. Le complotisme conduit à l’impuissance politique et à la représentation omnipotente du pouvoir. La conspiration, c’est l’essence même de l’action politique, c’est-à-dire la prise du pouvoir. C’est dans cette unique perspective que nous travaillons hardiment à pousser Eric Zemmour face à son destin ». Zemmour les laisse s’activer sans manifester trop de volonté.
Patrick Buisson considère qu’une candidature serait une voie sans issue. En mai 2021 sur TV Libertés, Buisson est convaincu qu’il ne sera pas candidat, car « la réalité finira de le convaincre (…) il y a un mélange des genres à éviter. Il ne faut pas confondre les électeurs avec des téléspectateurs ». En outre, depuis la Convention de la droite, Buisson reproche à son ami Zemmour d’avoir, à la convention de la droite, « trop mis l’accent sur l’aspect de guerre civile, de croisade anti-islamisme, en oubliant que si nous avons un problème avec l’Islam aujourd’hui, c’est la mondialisation qui a ouvert les portes (…) toujours j’en reviens à cette formule, (…) ’’ne pas se tromper d’ennemi principal’’ » (sur TV Libertés en février 2020).
Philippe Martel, ex-directeur de campagne de Marine Le Pen, lui déconseille aussi de se lancer dans l’aventure. Cet ancien énarque est passé du RPR au poste de directeur de cabinet de Marine Le Pen par l’intercession de Paul-Marie Coûteaux. Il quitte Marine Le Pen pour devenir secrétaire général du Conseil national de la résistance européenne de Renaud Camus. Il téléphonait parfois à Zemmour « après l’émission pour [lui] donner des conseils pertinents ». Mais ce « grand frère » meurt en novembre 2020. Petit à petit, l’idée fait son chemin, et convainc surtout ceux qui attendent une « droite de combat », une alternative qu’ils ne trouvent pas (ou plus) dans LR et qu’ils regrettent de ne pas trouver dans un RN, dont la ligne est jugée trop à gauche sur les questions sociales et sociétales et pas assez radicales sur la question des frontières et de l’Islam...
Après la pétition « je signe pour Zemmour » lancée par Bompard, une poignée de jeunes issus de l’Uni et des Républicains, à travers la Génération Z et les Amis d’Eric Zemmour, lancent une campagne d’affichages et sur twitter au printemps 2021. Ses amis font agréer une association de financement, fin juin 2021, auprès de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques : la campagne est lancée. Dans ses habits de futur candidat, Zemmour participe, fin septembre 2021, à une sorte de Convention de la droite européenne en Hongrie, aux côtés de Marion Maréchal : le Sommet démographique de Budapest où il rencontre Viktor Orban, un de ses modèles contemporains. Zemmour vient de donner une dimension européenne à sa probable candidature.
Mais entre des Comités Zemmour, une Génération Z, des Amis d’Eric Zemmour, des Jeunes avec Zemmour... l’organisation qui pourrait pousser Zemmour n’a pas encore de cohérence. A ce stade, ce mouvement gazeux tourne exclusivement autour de la personne d’Eric Zemmour. Leur dénominateur commun se limite à la lutte contre l’immigration en évitant soigneusement « d’autres thèmes importants pourraient à l’occasion nous diviser : l’Europe, l’École, la politique économique, l’industrie, l’écologie, etc... » (Zemmour dans le Nouveau Conservateur de l’été 2021). Pourtant, J-F Poisson souhaiterait que la candidature « impulse » une nouvelle « formation politique » dans laquelle « toutes les personnes puissent se retrouver dans une organisation dans laquelle personne ne serait obligé de déchirer sa carte d’adhérent ». Il s’agit d’une première piste de constitution d’un « bloc » tiré par la dynamique Zemmour... qui ne séduit aujourd’hui que J-F Poisson.
Il ne faut certes pas tabler sur la disparition pure et simple du RN. D’abord le score électoral du RN à la présidentielle marquera ou pas la fin du cycle Marine Le Pen. L’hypothèse la plus défavorable pour notre camp social serait celle d’une nouvelle logique frontiste : attraction de pans entiers de la droite « républicaine », association de divers courants de pensée de l’extrême-droite historique, recombinaison d’un RN réconcilié avec ses démissionnaires de plus ou moins longue date. Restera à trouver le chef.
Tant qu’il le faudra (commission antifa du NPA)