Deux témoignages sur la mobilisation antifasciste de dimanche dernier (qui s’est soldée par plus de 60 arrestations arbitraires) ont été publiés cette semaine sur le site Paris Lutte Infos ici et là. Ils permettent de comprendre l’atmosphère qui régnait autour du meeting de Zemmour et la collusion entre flics et militants nationalistes. En voici quelques extraits croisés.
Dans le RER
« Le train arrive, donc. Et dans la rame, déjà. Des hommes, comme moi. En noir, comme pas mal d’entre nous. Tête rasée, mais ce n’est pas suffisant. Et très vite, des signes distinctifs observés à la dérobée, fleurs de lys, insignes tricolores, viennent dirent avec certitude ce qu’on a tous su au premier coup d’œil. Le reste du trajet se déroulera dans une ambiance moite, les groupes amis se sont tus, les regards évitent de se croiser. Certains descendront à Villepinte, une station avant le Parc. Étais-je simplement monté dans le mauvais wagon ? L’arrivée est un désastre. »
Arrivée à la gare
« Une marée de crasse virile, noire par les habits, blanche par le crâne, vient envahir la gare, faisant étrangement peu de cas de nous autres restés en retrait. Une fois n’est pas coutume, pas de contrôles en vue à la sortie, ils sont vite dehors et, une fois leur bloc formé, chargent les manifestants déjà présents sur place. La différence visuelle entre un black bloc de gauche et un black bloc de droite ? Dans un bloc de droite, personne n’a de K-way. Avoir la police de son côté, ça permet un dress code plus soigné. »
« Je rejoins de vieux camarades de lutte et là, pas le temps d’arriver sur place (vers 12h10) que déjà on comprend que la journée va être dure.
Les gendarmes s’agitent pour nous entraver alors qu’on aperçoit une cinquantaine de fascistes armés de barres de fer et de gazeuses à la sortie de la Gare RER B. »
Charge policière
« Tout va très vite, les flics arrivent de tous les côtés, les motos les camions, on est trop peu et nous savons de quoi ils sont capables. Très vite ils arrivent à nous séparer en petits groupes, ça frappe, ça interpelle, ça verbalise. On a pourtant même pas encore chanté notre désaccord… Les insultes fusent, plus de leur côté que du nôtre, la BRAV-M se met en ligne et je m’aperçois que l’on va vivre quelque chose de différent, pas que ce soit une partie de plaisir d’habitude ou qu’ils soient cool. Là ça se sent, ça se voit, dans leur regard, leur comportement : ils ont la haine. Ils ne veulent pas simplement faire du maintien de l’ordre, nous réprimer ou nous faire partir, ils veulent nous casser…
Deux sommations, ça charge, ça interpelle, ça frappe sans raison. On assiste impuissants à la scène. Un flic fait le tour, on comprend qu’il veut attraper une femme, on est cernés. Le temps s’arrête je vois ces gens se faire frapper, interpeller. Quelqu’un s’interpose, peut être cette femme aura-t-elle une chance d’éviter les coups. Un coup de matraque, le flic l’attrape par le sac, c’est mort et elle le sait. Elle ne résiste pas, mais un frustré (qui insulte les femmes depuis le début) arrive par derrière, la tamponne très fort dans le dos et porte un coup de matraque à la personne qui tentait de s’interposer. Ses collègues arrivent en nombre, plus le choix, la personne qui tentait de l’aider prend la fuite. Le frustré essaye de le rattraper, même rappelé par ses collègues il continue. Celui qui s’interposait réussit à lui mettre un bon vent. »
« Les manifestants ont déguerpi et les nazillons occupent la place, sous l’œil bienveillant des flics. Je vais voir ailleurs, déjà on apprend que plusieurs groupes sont nassés ici et là. Partout les voltigeurs patrouillent, les bruits de leurs moteurs sont omniprésents, tout rassemblement est rendu impossible. Aucun slogan ne retentit. Une manifestante demande, mais pourquoi nous poursuivre alors que vous les laissez tranquilles, ceux qui nous ont attaqué ? "Dégage, quand ils en auront fini avec toi, je viendrai te ramasser à la petite cuillère" ».
La chasse est ouverte
« Ça ne s’arrête pas là, la chasse continue. Dans les moindre recoins des flics en civil sans brassard, d’autres avec des chiens, à moto... Quel triste spectacle ! Après l’assassinat de Malik Oussekine par des voltigeurs un 6 décembre il y a 35 ans… c’est dur. Dur de voir une telle situation, de revoir des fascistes charger aux côtés des gendarmes. Ses camarades se faire frapper, embarquer injustement... Y assister impuissant... »
« Et puis les motards reviennent et là encore il faut courir. Brusquement il y en a un qui tourne vers toi, tu dérapes sur le parvis mouillé, tu changes de direction, par ici ou par là ? Et cette fois-ci tu te trompes, tu vois trop tard que la personne qui aurait pu être un manifestant a une matraque télescopique, tu es par terre et déjà ils sont cinq sur toi. Game over. »
Au commissariat
« Au commissariat, on découvre les flics branchés sur le live du meeting. « À quelle heure il parle notre futur président ? » Cette journée aura eu pour elle le mérite de la clarté. Au commissariat, entre deux coups de pression, on a du temps pour réfléchir. Je revois les évènements de la journée et je me fais la réflexion que dans beaucoup de milieux militants, il est devenu courant de penser que la crise écologique est la menace numéro un. Pourtant, nous vivons dans un pays où les seules forces armées en présence soutiennent quasi-ouvertement l’avènement du fascisme. Présentement, la menace numéro un, elle est là. Selon toute probabilité, ça va très mal se finir, et il n’y a pas de scénario où organiser des marches pacifiées en autarcie y changera quelque chose. »