Lu sur le site d’infos mouais.org Qui croire à propos des pseudo « prières musulmanes » à l’école ? Le Nice-Matin du 17/11, ou celui du 20/11/2023, qui le contredit ? Estrosi, et ses obsessions islamophobes -largement relayées par Nice-Matin ? Ou bien les faits : ces « prières » n’ont pas eu lieu. Retour une séquence d’effervescence raciste partagée par le rectorat, la mairie, les politiques réac’ et leurs serviteurs médiatiques.
« Encore des atteintes à la laïcité », nous informe Nice-Matin du 17 novembre 2023, avec un titre alarmant : « À nouveau des prières dans des écoles niçoises ». Diantre, des « je-Vous-salue-Marie » en cour de récréation ? Des « Notre-Père qui êtes au cieux » ? Des « Baroukh ata Adonaï Elohenou melekh ha‑olam » (« Béni sois-Tu, Éternel, notre Dieu, Roi de l’univers » en hébreu) ? Bien sûr que non, on parle ici, encore et toujours, des musulmans, de tout petits musulmans cette fois-ci puisqu’ils sont en CE2, des mini-musulmans en somme, normalement pas de quoi effrayer un gaillard tel que le maire de Nice*.
« Christian Estrosi va convoquer les parents » claironne le journal dans son sous-titre (ce qu’il ne fera pas ; voyant que l’histoire tourne au ridicule, il enverra à la besogne son adjoint Jean-Luc Gagliolo, champion du « parlé vide » comme le dit… ben moi). On allait voir ce qu’on allait voir, des parents rudement redressés et menacés, républicanisés et laïcisés, parce qu’il est hors de question d’accueillir « l’ennemi intérieur » (dixit le maire de Nice, Le Point 16/10/23) dans nos établissements laïques-républicains. Christian, lui, se bat au quotidien contre la « cinquième colonne islamiste », alors les rejetons des radicalisés il va te les mâter.
Du journalisme de communiqués municipaux
Les vaillants journalistes de Nice-Matin (par la plume de Stéphanie Gasiglia, qu’on a connu mieux avertie), alertent les azuréens et citent les établissements incriminés pour leur laxisme (qui se seraient bien passés de cette publicité nauséabonde). Certains « garçonnets » (Nice-Matin) ont écopé d’un avertissement bien mérité, car au même moment « sur le réseau social TikTok, circulent des stories incitant les enfants à faire la prière dans les écoles avec des conseils pour qu’ils ne se fassent pas prendre » conclut Stéphanie Gasiglia.
Voilà, la messe est dite, et Christian nous avait prévenus. On pensait qu’il s’agissait de sa part d’islamophobie, de haine des musulmans et des arabes, mais non, l’ennemi intérieur est bien là, il a un visage (poupin), un statut (élève), et du haut de ses huit ans et de ses 126 centimètres, il met en péril notre chère et grande laïcité.
Dire qu’on lui a ri au nez, on a l’air bien bête maintenant.
Mais il se trouve que Nice-Matin n’est pas tout à fait d’accord avec lui-même. S. Gasiglia n’a pas eu le temps d’enquêter plus que ça, les communiqués municipaux arrivent trop vite. À moins qu’elle n’ait pas été sollicitée par le directeur des rédactions du groupe (Denis Carreaux, celui qui se présente comme « journaliste indépendant » sur Linkedln) pour étudier le dossier en profondeur, prendre quelques jours de réflexion et livrer enfin un contenu argumenté et construit.
C’est Laure Bruyas qui s’y colle le 21 novembre, alors que depuis cinq jours les faits ont été établis (une enquête ça prend du temps), S. Gasiglia n’ayant pu que relayer, la veille, le nouveau communiqué de la mairie (NM du 20/11). Que nous dit Laure Bruyas, qui contredit le papier de sa consœur ? Les enfants ne priaient pas, d’ailleurs aucun d’entre eux n’est musulman, ils jouaient simplement à se faire peur en imaginant l’école hantée, s’amusant avec un morceau de plastique blanc piégé dans un arbre, imaginant qu’il s’agissait de la fameuse « Dame blanche » (décidément cette « Dame blanche » est transgénérationnelle !).
La Mairie a dégainé trop vite, mais c’est la faute du rectorat qui a alerté la mairie trop vite, mais c’est la faute des enseignants qui ont signalé les faits trop vite au rectorat, à moins que ce ne soit la faute des enfants qui ont joué trop vite et sans réfléchir.
Nice-Matin et les prières
Nice-Matin, dans un encart (NM du 21/11), revient sur la chronologie de cette « polémique hautement inflammable ». Le journal semble consterné que certains médias aient pu faire aussi éhontément du journalisme de préfecture, tels eux-mêmes donc (oui, c’est un peu schizophrénique) qui ne s’excuseront pas et ne répondront pas aux sollicitations d’autres médias (Arrêt Sur Images n’a obtenu aucune retour du rectorat, de Nice-Matin et de la mairie de Nice), ces médias racoleurs qui n’hésitent pas à relayer des faits qu’ils n’ont pas sourcés.
Les prières sont un « fonds de commerce médiatique » à Nice depuis juin dernier, selon le site Arrêt Sur Images (21/11/23) qui a relevé les contradictions de Nice-Matin, précisant que, sur le site du journal, S. Gasiglia a elle-même publié un démenti : « Non, des élèves de CE2 n’ont pas prié à l’école Pierre-Merle à Nice : il s’agissait de simples jeux d’enfants » (que l’on retrouve dans la version papier du 20/11).
Mais l’emballement était déjà bien avancé et la fausse information racoleuse et raciste avait déjà été relayée par France 3 PACA, le Figaro (qui précise ne pas avoir sourcé l’information sur ces prières « musulmanes » ; drôle de pratique que d’écrire un article en stipulant « mais j’ai rien vérifié hein, c’est Nice-Matin ! »), 20 minutes, RMC (« une prière musulmane dans la cour de récréation ») et, ô surprise, CNews. Il va sans dire que tout « l’arc républicain » d’extrême-droite s’est délecté de cette histoire, tout comme les Zemmouriens « parents vigilants » y ont trouvé des nouvelles preuves du « Grand remplacement ».
Des « prières musulmanes » dans les écoles, des élèves qui s’agenouillent « sur leur manteaux », le danger islamiste viendrait des écoles et collèges niçois à en croire ces grands médias, les déclarations d’Estrosi étant attendues et relayées allègrement, lui-même étant érigé pour l’occasion en grand défenseur de la laïcité franchouillarde qui « ne laisse[ra] rien passer » (13/11/23).
Contre-feu
Le maire de Nice a beau communiquer aujourd’hui sur les « échanges constructifs » avec les parents non musulmans convoqués qui ne souhaitent pas « enfreindre les principes de la laïcité et de la République », discourir sur les « principes et enjeux de la laïcité », parler de la « laïcité » et encore de la « laïcité », le journal Nice-Matin a beau dire que « la mairie agite le drapeau rouge » en permanence (tout en continuant de lui servir la soupe), S. Gasiglia a beau rédiger un démenti avant la « contre-enquête » de sa consœur (ce qui est tout de même louable), il reste de cette séquence un goût d’effervescence raciste partagée par le rectorat, la mairie, leurs serviteurs médiatiques et les personnalités politiques les plus réactionnaires.
Mais l’emballement est également un sujet en soi, couvert par d’autres médias qui se satisfont d’articles faciles à rédiger sur ce manque d’éthique journalistique (comme l’auteur de ces lignes qui ne fait que peu d’efforts et Mouais qui adore taper sur Niel-Matin). On a donc droit au témoignage du grand-père d’un élève qui ne comprend pas comment on peut confondre un acte terroriste-radicalisé-islamiste-djihadiste-musulman-pasdecheznous avec un simple jeu de fantômes. Puis, celui d’un père convoqué qui se justifie de ne pas être musulman, ni même croyant, et défend l’école de son fils et son personnel éducatif.
La mairie maintient aujourd’hui que, oui, des enfants ont bel et bien prié (lesquels ? Et où ?), tout en refusant de répondre aux questions des journalistes. Et elle fait diversion en expliquant, en gros, qu’il vaut mieux être trop vigilant que pas assez. Christian Estrosi, ne souhaitant pas laisser le créneau raciste à la droite extrême de Ciotti, a tout intérêt, dans une Nice qui vote à 30% pour l’extrême-droite (Le Pen + Zemmour en 2022), à créer des polémiques xénophobes qui font parler de lui, il en restera toujours quelque chose chez l’électeur réac, qui est également un lecteur de Nice-Matin.
C’est dire si le journalisme de préfecture a encore de beaux jours devant lui sur la Côte d’Azur, un servage qui se teinte progressivement d’un racisme rance mais finalement fidèle à l’esprit de Nice-Matin.
Par Bob