Clément Méric : la lutte oui, mais la musique aussi

Deux camarades brestois de notre camarade Clément, tué par des néonazis le 5 juin 2013, évoquent leur rencontre et sa passion pour la musique.

On connait l’engagement antifasciste et syndical de Clément, mais moins sa passion pour la musique. Est-ce que vous pouvez nous dire ce que cela représentait pour lui, comment cet autre engagement se concrétisait ?
Numa : Clément est rentré dans nos vies à l’automne 2009 : à l’époque, on squattait la place Guérin à Brest, et s’est plus ou moins là qu’on l’a rencontré grâce à deux ami·es qui nous l’ont présenté. Brest est une petite ville, et tout le monde se retrouvait sur cette place : des gens issus de la CNT, de la contre-culture punk, redskin ou antifasciste, des autonomes, des punks, des crusts, des étudiant-es, des prolétaires, des précaires…
Clément avait 15 ans quand il a passé la porte de notre squat / centre social autogéré le Triskell diren, « le triskell sans chef » en breton. Son t-shirt Led Zeppelin sous sa veste Harrington témoignait d’un intérêt non seulement pour le rock ou le hard rock, mais aussi pour le style punk ou skinhead. La première fois qu’on s’est vu là-bas, il a passé pas mal de temps à lire des brochures et notre zine Brest la rouge, dans son coin, puis il est revenu plusieurs fois et notre amitié a commencé.
La musique, représentait une part très importante dans sa vie. Comme pour pas mal d’entre nous, elle a été une porte d’entrée vers les idées libertaires ou la contre-culture (punk, squat, DIY, etc). Clément aimait donc déjà le rock au sens large quand on s’est rencontré, mais je pense que c’est au fil des rencontres et des soirées à refaire le monde et à écouter de la musique qu’il s’est forgé sa propre culture musicale. Notre bande était en majorité composée de punks, de redskins et de skinheads, mais ouverts sur d’autres styles de musique : cela allait du rap de la Scred Connexion jusqu’au punk rock de The Members en passant par Bikini Kill, la soul des mods ou le early reggae. On passait notre temps à écouter de la musique, à en parler, à se refiler des disques et des disques durs pour alimenter notre boulimie de musique.

Clément jouait avec vous dans un groupe. Pouvez-vous le présenter ? Comment il a été créé, les éventuels concerts, le rôle de Clément dans le groupe…
Damou : Clément jouait de la guitare [1] dans les « Ravacholians », un groupe brestois qui a beaucoup répété mais finalement peu joué. On s’est formé en 2010, durant le mouvement contre la réforme des retraites. On avait dû se croiser une ou deux fois avant, il m’avait branché sur le parvis de la fac. Pendant une manif, je traînais dans le cortège anar/CNT alors que je ne connaissais pas encore grand monde. Clément me demande si je joue d’un instrument, je lui réponds que je fais un peu de guitare. J’ai finalement fini chanteur, mais la plupart des autres membres du groupe, en tous cas de la première mouture, étaient présents à cette manif. Le batteur et le bassiste ont ensuite été remplacés par d’autres potes, tous issus de la scène punk/anar brestoise. Sans oublier bien sûr le sax, pierre angulaire de notre formation ! La volonté de monter un groupe venait vraiment de Clément, et nous on était chauds pour tenter quelque chose ensemble, sans prétention. La scène punk bougeait encore pas mal sur Brest, une bonne partie était en lien avec les luttes sociales et urbaines, et on avait envie d’y contribuer, si possible en se marrant.

Concert de the Adolescents à bellevue, Brest, décembre 2009

On a commencé à répéter au local de l’asso « Les petits débrouillards », dans le quartier de Kérédern, puis dans un local du Secours pop’, sur la commune du Relecq-Kerhuon. Musicalement, on partageait pas mal de références communes, mais je pense qu’on avait tous des envies un peu différentes. La base du truc, pour moi, c’était les Partisans. On essayait de faire quelque chose d’un peu ska/punk rock, mais il y a aussi eu des morceaux un peu plus expérimentaux ! Plusieurs de nos premiers sons étaient composés par le premier bassiste. Le saxophoniste en a écrit aussi, et puis Clément a écrit au moins un texte sur la Commune, mais j’ai pas souvenir qu’on ait eu le temps de beaucoup le répéter.

On n’a finalement fait que deux concerts, en 2012. Le premier avec Broken, The Wanted et Mohawk au Radeau, un squat éphémère ouvert dans notre terter de St-Martin, le temps des élections. Le second c’était pour le festival de notre collectif, Crazy Youth, à Poullaouen, dans le kreiz Breizh. Le fait d’avoir peu joué n’est pas très important, parce qu’on se prenait pas vraiment au sérieux. Le groupe n’était qu’un moyen parmi d’autres de trainer ensemble en faisant les cons. Et puis il s’est arrêté l’année suivante, quand Clément est parti à Paris et que j’ai commencé à chanter dans un autre groupe.

Quels étaient les goûts musicaux de Clément ? Ses influences, ses groupes et chanteurs préférés, etc.
Damou : Notre principale référence commune, c’était les Partisans, et puis les classiques de reds : la Brigada, Brixton Cats, Bolchoï… Il y avait aussi bien sûr les groupes d’amis qu’on allait voir à Brest en concert : Jeune Seigneur, Viande rouge, Police Truck, Skuds and Panic People, Alerte rouge... Au fil des années, Clément a aimé beaucoup de styles musicaux différents (rap, punk, oi !, soul, reggae et ses sous genres…) et de groupes différents. On peut en citer par exemple The Redskins, the Jam, the Members qu’il avait eu la chance de voir en concert, Small Faces, les Américains de Suedehead, the Oppressed, Kortatu…
Numa : Après une phase redskin, autant au niveau vestimentaire que musical, avec l’influence de deux amis il s’était immergé dans la culture mods anglaise à fond. La soul de chez Stax, la northern soul, le early reggae, le rock mods des Who, Small Faces, Manfred Man… et les sapes qui vont avec !

Dans notre groupe, on se retrouvait autour de la zic et d’une certaine manière de concevoir le politique, mais on a finalement toujours eu des goûts éclectiques, et je sais que c’est quelque chose qu’il appréciait.

Clément s’était aussi investi dans l’organisation de concerts. Avez-vous aussi cette expérience en partage avec lui ? Avait-il d’autres activités liées à la musique en dehors du groupe ?
Numa : Clément aimait la musique mais voulait aussi être actif et aider à l’organisation des concerts. Il a commencé comme nous à venir filer la main avec nos grand frères et sœurs de l’asso « Brest burning  » qui avait pour but de faire des concerts punk, oi !, rap dans une optique politique et de soutien à des causes libertaires (au sens large) et antifascistes. En 2009/2010, il nous a rejoint à la CNT, mais on était très loin de se contenter de l’activité syndicale (pour ainsi dire on ne fait quasiment pas de syndicalisme), mais nos idées, on tentait de les mettre en pratique avec les squats, le punk, le fanzinat, les manifs, les concerts..

Sound system au squat le Radeau, mai 2012.

Après, nos vies ne se résumaient pas à cela, et on passait aussi beaucoup de temps à traîner dans la rue, à se marrer, faire des conneries et la musique nous accompagnait aussi dans ces moments-là. Brest est comme je l’ai déjà dit, plutôt une petite ville, alors les gens se mélangent, il y a Brest burning mais aussi Gros Up, une asso plus branchée hardcore, d’autres collectifs et squats plus autonomes ou branchés crust et anarcho punk, d’autres bandes de punks, les rappeurs de Dernier Rempart et du crew Strictement Vaurien-es… On est en décembre 2010 quand avec Clément et d’autres, on a envie de créer un collectif d’organisation de concert qui nous ressemble plus : nos potes de Brest burning nous ont encouragé à le faire : « vous ne vous y retrouvez pas dans notre programmation  ? Ben allez y, faites-le vous même  !  » On les prend au mot et on monte Crazy Youth un collectif foutraque qui existera jusqu’en 2020.
Damou : Le collectif rassemblait plusieurs équipes issues de la scène punk brestoises, du hip-hop, mais aussi des totos, avec une volonté d’organiser des concerts de manière horizontale et de faire jouer les groupes qui nous plaisaient. Pas mal de nos concerts étaient des concerts de soutiens à des causes diverses. J’ai aussi le souvenir d’une fête de la musique pour laquelle on avait organisé un concert sauvage dans un square à côté de notre chère place Guérin.

Clément passait des disques à l’arrière d’une bagnole. Et puis évidemment, les concerts, à gauche et à droite… La vie quoi !
Numa : Durant ces années avec Crazy Youth, Clément a participé à des concerts de soutien, a passé des vinyles en sound system chose qu’il aimait particulièrement, il a fait l’entrée, des tables de presse, organisé des concerts sauvages, des festivals, il a coupé des légumes… Pour lui comme pour nous, faire ces concerts avait un caractère politique, mais ça ne nous a jamais empêché de faire ça avec humour, on n’a jamais versé dans le catéchisme révolutionnaire  !

Clément faisait-il un lien entre son engagement militant et sa pratique musicale ? Si oui, de quelle façon cela se manifestait-il ? 
Damou : Le mouvement social, les groupes antifas, autonomes et les milieux militants en général ont bien changé depuis, mais pour nous, tout ça était encore assez lié aux sous-cultures musicales. Avec sûrement un temps de retard par rapport à d’autres villes d’ailleurs, à Brest, politisation et pratique musicale allaient de pair. Même si, en 2010, le trip redskin s’était déjà bien cassé la gueule, Clément était clairement dans ce mouv’, que ça soit au niveau des sapes, de ses goûts musicaux ou de ses orientations politiques. Tout ça formait quelque chose de cohérent.
Plus concrètement, les textes du groupe dans lequel il jouait parlaient à peu près tous de luttes sociales, ici ou ailleurs. C’est un peu cliché mais c’est ce dont on avait envie de causer. Et puis surtout, Clément s’inscrivait à fond dans une dynamique collective qui consistait à faire vivre la musique en-dehors des institutions et des logiques marchandes. S’organiser en collectif horizontal, organiser des concerts dans des squats ou en sauvage, le tout à prix libre, pour que ça reste accessible à tout le monde, tout ça lui importait. Pour nous, la musique ne se réduisait pas aux SMACs subventionnées et à la culture « officielle ». Elle devait rester en prise avec la rue, les luttes sociales, dans un Brest encore populaire dont on voulait préserver le côté foutraque. C’est quelque chose qu’on a continué à porter après sa mort.
Numa : Après, quand il a bougé sur Paris, dans les conversations qu’on avait, il me disait qu’il allait beaucoup en concert, mais sans tenir compte des barrières et frontières de crew, de scènes ou de milieux. C’est une chose qu’on avait évoqué peu de temps avant sa mort à Paris où on était allé voir un concert ensemble : la scène politique et contre-culturelle parisienne lui semblait être assez sclérosée et fractionnée, et il avait comme ambition d’essayer de remettre de la musique dans le mouvement politique qu’il côtoyait, et de réunir davantage les gens.

Clément avait participé à la programmation et la promotion du concert du 8 juin 2013 au "Transfo", un squat de Bagnolet aujourd’hui fermé, en soutien aux antifascistes victimes de la répression, devenu trois jours après que des militants néonazis lui ont donné la mort, un concert à sa mémoire.

Propos recueillis par la Horde

Notes

[1Ses parents nous ont appris qu’il avait suivi des cours de guitare dans une MJC pendant quelques années, vers 11-12 ans. (La Horde)