Suite de l’article de Stéphane François dont nous avons publié un premier extrait hier :
De fait, le Front national a profité de la volonté d’une partie de l’électorat français, en particulier des électeurs des classes populaires qui souhaitent le retour d’une société conservatrice, avec des règles et des lois fermement appliquées, et une restriction des flux migratoires. Il s’agit explicitement de mettre en relation la crise du référent de la lutte des classes, l’adhésion courante dans les milieux populaires aux valeurs hiérarchiques traditionnelles, selon un schéma utilisé à l’extrême droite depuis la fin du XIXe siècle, et l’ethnicisation des problèmes économiques et sociaux. En effet, les classes populaires, ne sentant pas leurs revendications sociales prises en compte par les politiques, ont investi dans les années 1990 le champ idéologique identitaire comme une thématique de compensation, voire comme une volonté de réduire l’accès au travail, l’emploi se raréfiant.
Ces deux points ont été cernés tôt et avec acuités par l’extrême droite : ils ont été largement encouragés dans les années 1980 par ses stratèges comme Jean-Yves Le Gallou à l’origine, avec Yvan Blot – lui-aussi haut fonctionnaire –, du concept de « préférence nationale », rebaptisé en 2011 en « priorité nationale », c’est-à-dire de la réservation des bienfaits de l’État-Providence aux « Français ».
Haut-fonctionnaire, Jean-Yves Le Gallou condamne depuis les années 1970 l’immigration de masse, qu’il analyse comme une forme de colonisation inversée. En 1985, il publie un livre-programme, La Préférence nationale. Une réponse à l’immigration (Paris, Albin Michel). Dès lors, il anticipe les positions identitaires et soutient l’idée d’une immigration zéro, solution selon lui face à l’« invasion » que serait l’immigration. Cette évolution populiste a donc permis au Front national d’investir le rôle de « porte-parole » des « Français d’en bas », substituant le marqueur identitaire de classe à celui de race.
Or, cette idée raciale est très présente chez les militants d’extrême droite, souvent convaincus de l’existence d’une sorte de plan conçu par les « élites » de provoquer une substitution ethnique des populations européenne : c’est ce qu’ils appellent le « grand remplacement ». Cette idée vient de loin : elle a été développée dans les années 1950 par les milieux néonazis. Longtemps confinée dans les milieux néonazis et/ou suprémacistes blancs, elle se retrouve aujourd’hui dans la mouvance identitaire dont certains cadres ont investi le Front national. L’objectif supposé de ces élites, vues par ces militants comme foncièrement immigrationnistes, serait de mettre en place un « génocide » lent des populations européennes. De fait, les différentes extrêmes droites occidentales s’inquiètent de l’avenir de la « race blanche » et combattent les politiques migratoires, qui seraient des sources de chaos social et de déclin civilisationnel, voire génétique, par le métissage.
L’électorat d’extrême droite, suivi par une partie de l’opinion publique française, exprime une volonté de repli « entre soi », provoquée par la mondialisation néolibérale, entre « mêmes » qui s’articule avec un rejet de l’« Autre » surtout si celui-ci est musulman. Ce sentiment communautaire/affinitaire, pouvait être contenu, jusqu’au milieu des années 1980, par les partis et syndicats ouvriers et transcendé par un discours politique. Depuis cette époque, ce n’est plus le cas, et le « sens commun » partagé par ces classes populaires en crise d’identité, du fait de l’effacement de ses repères traditionnels, notamment produit par le monde du travail, fait que la qualité de « français » s’est substitué à l’ancienne qualification « d’ouvrier ». De ce fait, certains, au sein de ce parti, prônent un « nationalisme social ».
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