Des centaines d’attaques contre les réfugiés ont eu lieu depuis janvier dernier en Allemagne, et en toute impunité. Une enquête a été menée pendant deux mois par quinze journalistes de l’hedomadaire Die Zeit (papier et en ligne) à partir de données mises à la disposition du public (sources : Bundeskriminalamt, soit l’office fédéral de la police allemande, et le gouvernement fédéral, mais aussi la Fondation Amadeu Antonio, et le centre d’archives antifasciste APABIZ). Ces chiffres correspondent aux attaques enregistrées du 1er janvier au 30 novembre 2015, et ils sont plus élevés que les 120 actes officiellement listés par le ministère de l’Intérieur allemand.
Les résultats de cette enquête montrent à quel point l’État allemand se révèle incapable de faire quoi que ce soit face aux violences qui prennent les réfugiés pour cibles.
En septembre dernier, la chancelière Angela Merkel avait promis de poursuivre tous ceux qui attaqueraient les réfugiés « par tous les moyens disponibles ». Aujourd’hui, il apparaît évident que cette promesse était illusoire. Il ne se passe pas une journée sans qu’un foyer de réfugiés fasse l’objet d’attaques violentes. Parfois, ce sont des pavés ou des cocktails molotov, parfois ce sont des départs de feu ou des inondations. Dans la majorité des cas, la police et la justice sont dépassés et les responsables de ces attaques s’en tirent en toute impunité.
222 attaques, 4 condamnations
Les journalistes ont effectué des recherches sur 222 attaques où des réfugiés soit ont été blessés soit auraient pu l’être, eu égard à la gravité de l’attaque. Pratiquement aucune de ces affaires n’a été résolue. Seulement quatre d’entre elles ont abouti à une condamnation d’un agresseur et huit autres ont abouti à des mises en accusation. Cela représente tout au plus 5% des cas enregistrés. En outre, la police ne semble avoir été capable d’identifier des suspect que dans 25% des affaires. Les 75% des cas restants restent non résolus, alors que, jusqu’à présent, 104 personnes ont été blessées.
222 attaques, 169 enquêtes ouvertes, 41 suspects identifiés, 8 accusations, 4 condamnations
Les journalistes ont examiné les 747 agressions punissables par la loi à l’encontre de foyers de réfugiés (telles que listées par le BKA, Bundeskriminalamt, Office de police fédéral) et ont retiré les plus mineures, telles que les graffiti, la propagande et les insultes verbales. Les incidents les plus sérieux qui restaient sont ceux qu’ils ont examinés. Le bilan qu’ils en font est le premier du genre sur la façon dont le monde judiciaire allemand a réagi aux actes de violence les plus graves. Les incendies criminels sur les foyers de réfugiés sont devenus un phénomène répandu et dangereux. De janvier à novembre, le nombre d’attaques de ce genre a dramatiquement augmenté.
Le nombre d’incendies criminels multiplié par 10
Les responsables d’incendies criminels se soucient bien peu de savoir s’ils font des blessés ou des morts. La moitié des 93 incendies volontaires commis cette année ont visé des bâtiments habités. C’est une simple question de chance qu’aucun réfugié n’ait perdu la vie jusqu’à aujourd’hui. Dans le même temps, le nombre d’incendies criminels contre des bâtiments inhabités a aussi augmenté.
Plus de 15 incendies criminels contre des foyers habités en août 2015, plus de 20 incendies criminels contre des foyers vides en octobre 2015
Les recherches menées par les journalistes montrent que le taux de résolution des affaires de ce type (en tout cas à la fin du mois de novembre) est bien moindre que pour des infractions du même type, commises contre d’autres personnes. Ainsi, en Allemagne, plus de la moitié des affaires d’incendies criminels sont généralement résolues.
Les attaques n’ont pas toutes lieu sur le territoire de ce que fut la RDA. Elles sont perpétrées sur tout le territoire allemand, et leur résolution est tout aussi problématique à l’Ouest qu’à l’Est. Ainsi, dans le Bade-Würtemberg par exemple, pas un seul incendie criminel perpétré contre un foyer de réfugié n’a été résolu. Quoi qu’il en soit, le plus grand nombre d’attaques a eu lieu en Saxe, aussi bien en nombre absolu que proportionnellement à la population vivant dans le land.
Mais pourquoi les enquêtes n’ont-elles pas été couronnées de succès ? Certaines raisons ont à voir avec la nature du crime lui-même. En effet, celui-ci se commet la plupart du temps de nuit et les responsables disparaissent rapidement. Des cocktails molotov sont jetés de voitures qui ne s’arrêtent pas, des projectiles enflammés sont jetés de loin vers les fenêtres. Par ailleurs, les incendies détruisent tous les indices.
En plus de tout cela, les foyers de réfugiés sont souvent situés loin des centre-villes et des zones résidentielles, et il n’y a donc souvent aucun témoin des faits. Dans le cas contraires, les enquêteurs se heurtent souvent à un mur de silence. Quand les foyers sont encore inhabités, il apparaît que de nombreux voisins sont d’accord avec les attaques. Si personne ne revendique la responsabilité de l’attaque et si aucun responsable ne se vante bêtement de ce qu’il a fait, les enquêteurs restent le plus souvent dans le noir.
Mais tout cela ne suffit pas expliquer les difficultés associées à ces enquêtes : pour réussir, les enquêtes de police ou celles menées par les bureaux des procureurs s’appuient sur des personnels de police technique et scientifique. Mais dans beaucoup d’endroits en Allemagne, on constate un manque de personnel dans la police. Ces derniers temps, on a assisté à une diminution régulière du nombre d’officiers de police, particulièrement dans l’Est de l’Allemagne, là où le plus grand nombre d’attaques anti-réfugiés se produit. Les procureurs se plaignent aussi du trop petit nombre d’experts en incendies criminels, ce qui rend leur tâche encore plus difficile.
Une chose, cependant, reste claire : si le gouvernement veut vraiment poursuivre les criminels responsables de ces attaques « par tous les moyens disponibles », il devrait faire bien plus que ce qu’il fait aujourd’hui.
Traduction et adaptation : La Horde
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