Quelques jours après le début de l’année 2016, les médias français se sont fait l’écho d’une vive discussion qui a lieu en ce moment outre-Rhin. En effet, un grand nombre d’agressions sexuelles ont été perpétrées la nuit du 31 décembre autour de la gare de Cologne par une foule d’hommes massés à cet endroit, qui ont pris pour cibles les femmes qui passaient par là. Or, la gare de Cologne abrite également des réfugiés, et les enquêtes en cours semblent désigner certains de ces hommes, mais pas uniquement. Au bout du compte, ce ne sont plus les hommes qui ont été mis en cause pour ce qu’ils sont, des hommes sexistes, mais la couleur de leur peau et leur origine.
Les médias allemands ont ainsi eu vite fait de surfer sur le sexisme ambiant pour mettre en avant tout un tas de projections racistes, qui vont dans le sens des débats qui traversent ces derniers mois la société allemande, depuis l’arrivée massive des réfugiés dans le pays. Tout se passe comme si les Allemands se pensaient immunisés contre le sexisme, qui ne serait alors le fait que d’étrangers. Tant et si bien que le samedi 9 janvier, les fachos se sont rassemblés à Cologne, sous couvert de défense des femmes. Heureusement, les antifas et les féministes ont remis les choses à leur place. Voici donc le communiqué de l’Antifa AK de Cologne.
Votre forteresse n’est pas un paradis !
Les médias allemands et internationaux se sont emparés des agressions sexuelles qui ont eu lieu en masse la nuit du nouvel an à Cologne, couplés à des vols à l’arrachée, et les politiciens également. Ces agressions doivent être condamnées sans aucune restriction. Or, contrairement à ce qu’ont suggéré bien des comptes-rendus médiatiques, les violences sexuelles faites aux femmes sont pourtant monnaie courante en Allemagne. Les agressions commises durant la nuit du 31 décembre ne constituent en aucun cas une exception dans la société patriarcale allemande, et pas non plus à Cologne. Ce qu’il y a d’effrayant, c’est de voir à quel point ces agressions se sont concentrées à un seul endroit de l’espace public. Il faut cependant également noter la passivité des autres personnes présentes, qui montre de façon encore plus criante à quel point la violence dirigée contre les femmes semble normale, ou à tout le moins inévitable.
Quant à ceux qui crient le plus fort qu’il faut protéger les femmes, ce sont les mêmes qui ignorent les violences que subissent les femmes quand ils ne peuvent pas l’ethniciser ou l’attribuer à des « Nord-Africains » et à des « Arabes ». Ce sont souvent ceux qui, prétendant aujourd’hui protéger les femmes, se sont élevés depuis toujours contre leurs droits les plus fondamentaux, parmi lesquels le droit à une rémunération égale, le droit à disposer de son propre corps lorsqu’il s’agit d’interruption de grossesse. Ce sont aussi les mêmes qui voudraient cantonner les femmes à leur rôle de mère.
Ce qui est particulièrement révélateur chez ces défenseurs auto-proclamés des femmes, c’est précisément cette vieille idée, qui fait l’unanimité chez tous ceux qui sont sexistes, selon laquelle les femmes seraient soi-disant protégées de toute agression si elles évitaient de se comporter de façon à encourager leurs violeurs. On a donc entendu la maire de Cologne, Henriette Reker (CDU), dire la semaine passée que les femmes n’avaient qu’à se maintenir à une distance suffisante des hommes (de la longueur d’un bras), pour éviter de se faire agresser. Voilà qui fait de la victime une complice de l’agresseur : il s’agit là d’une position insupportable de par son sexisme, d’autant plus qu’elle fait mine de se poser en soutien de la victime qu’elle incrimine pourtant.
Ceux qui se taisent lorsqu’il est question des agressions sexuelles qui ont lieu régulièrement ou même quotidiennement en Allemagne mais poussent les hauts cris dès que des « Nord-Africains et des Arabes » sont impliqués, ne cherchent pas à défendre les femmes, ils sont juste racistes. C’est ce qu’a montré la manifestation du samedi 9 janvier, où on a pu voir Pro NRW et Pegida, deux organisations dont le sexisme le plus répugnant est plus que proverbial.
Mais comme toujours, Pegida, Pro NRW and co n’ont pas le monopole du racisme : la société tout entière leur emboîte le pas avec des bottes de sept lieues. En décrivant des agresseurs « nord-africains ou arabes », les médias jettent l’opprobre contre des groupes entiers de population. La normalité raciste n’a pas fait de pause avec la nouvelle année. Tous les jours, des gens meurent aux barrières de la forteresse Europe, et dans le même temps, le débat autour du droit d’asile s’intensifie chaque jour autour d’arguments toujours plus racistes. Ces incidents viennent à point nommé pour les défenseurs d’une politique de repli sur soi toujours plus affirmé. Le danger d’agression sexuelle est projeté sur des gens qui sont venus en Allemagne pour fuir la violence de la guerre et de la pauvreté. On recherche alors la faute dans leur culture, « différente » et soi-disant moins évoluée ou prétendument archaïque. On préfère oublier le fait qu’il s’agit d’hommes sexistes, et qu’à l’intérieur de la forteresse Europe, les violences faites aux femmes sont d’actualité. Il y a visiblement un consensus presque unanime selon lequel la société allemande serait antisexiste et évoluée. Quand certains affirment que la violence dirigée contre les femmes est un produit d’importation (de l’Islam), il faut que nous pointions du doigt avec d’autant plus d’insistance l’omniprésence des actes et paroles sexistes qui existent en Allemagne.
Les médias, qui aujourd’hui font leur choux gras des violences perpétrées dans la nuit du 31 décembre, n’ont jamais dit un mot des agressions qui ont systématiquement lieu à chaque carnaval (à Cologne) et à la fête de la bière (à Munich). Celui qui écrit sur « ce qu’il y a de nouveau » dans ces agressions devrait peut-être commencer par venir passer un soir de fête dans les grandes rues de Cologne. Et pourtant, il y a bien quelque chose qui a changé dans tout ça : depuis les discussions sur le droit d’asile, les schémas d’argumentation racistes ont un peu plus droit de cité. Les récits mettant en scène « des étrangers sauvages » qui viennent en Allemagne assouvir leurs besoins est une projection raciste évidente. Et maintenant, un événement particulier vient s’ajouter dans ce contexte, et il s’agit d’un événement qui s’est déjà produit des centaines de fois sans pour autant arriver aux oreilles de l’opinion publique. Ce qui est nouveau ici, ça n’est pas ce qui s’est passé, mais bien plutôt la façon dont l’explication raciste de l’événement est amenée sur le devant de la scène publique. Ce n’est pas ce qui s’est passé qui demande à être raconté, c’est la façon de raconter ce qui s’est passé qui est montée en épingle. Le fait que des groupes d’extrême droite comme Pro NRW ou Pegida se sentent à ce point encouragés montre à quel point la société est en train de dériver à droite. Un jour ou l’autre, on retrouvera un autocollant de Pegida sur le feu de bengale qui aura été jeté sur un foyer de réfugiés — comme le dernier samedi de décembre à Cologne-Müllheim.
Alors, voilà notre réponse à tout cela :
Pour que les femmes et tous ceux qui sont menacés par des bandes d’hommes dans l’espace public soient en sécurité, il faut contrer cette violence partout, tous les jours de l’année. Ceux qui parlent des violences sexuelles commises dans la nuit du 31 décembre mais ne veulent pas entendre parler de la domination masculine, du racisme, de l’homophobie et de l’hostilité à l’encontre des transsexuelLEs, ne saurait être un allié dans le combat à mener contre une société qui reste malgré tout aujourd’hui éminemment patriarcale. Celles et ceux qui sont victimes du sexisme ont besoin de véritables soutiens, pas de faux amis.
Pour lutter activement contre le sexisme, pour s’opposer au racisme, nous devons soutenir les combats féministes et lutter de façon cohérente contre tous ceux qui veulent instrumentaliser le sexisme à des fins racistes. C’est ce que nous avons fait le samedi 9 janvier à la gare centrale de Cologne.
Mais au-delà de ça, il faut transformer la société dans ses fondements, car ce sont eux qui induisent et favorisent des comportements racistes et sexistes. Cela veut dire que nous devons combattre aussi bien la forteresse Europe que les rapports sexistes dans la société, mais nous devons aussi nous organiser pour être solidaires de leurs victimes de façon à ce que les raisons de leurs souffrances disparaissent.
Pour lire le texte en allemand, ici