Ce jeune Espagnol est en prison, sous régime spécial, « pour l’exemple » dans un pays en révolte sociale. Il s’appelle Alfonso Fernandez Ortega. Mais on le surnomme affectueusement Alfon. Ce jeune Espagnol de vingt et un ans vit à Vallecas, berceau ouvrier et bastion de luttes dans le sud de Madrid. Depuis le 14 novembre, jour de la grève générale, il est en prison préventive, confiné à l’isolement. Pour l’exemple. En bonne « tête de Turc », dit-il. Ce jour-là, Alfon sort de chez lui, en compagnie de sa fiancée, pour se rendre sur son piquet de grève. À cent mètres de son domicile, la police l’arrête. Il est « interrogé » deux heures durant par des agents aux visages cachés qui le menacent de « choses horribles contre (sa) famille ». Puis le jeune homme est placé en prison préventive, sous le régime Fies (fichiers internes de suivi spécial). Une peine anticipée qui s’applique généralement en cas de grave « alerte sociale ». Alfon est depuis en « prison dans la prison ». Ses communications avec l’extérieur sont limitées et surveillées. Le domicile de sa mère, militante de gauche du quartier, est passé au crible. Alfon est considéré comme un homme « dangereux », ravalé au rang de terroriste ou de narcotrafiquant. On l’accuse d’avoir transporté dans un sac en plastique des composants à même de réaliser une bombe artisanale. Ce qu’Alfon dément. Son avocat, Erlantz Ibarrondo, réplique. « Ses empreintes sont introuvables » sur le fameux sac en plastique. Le ministère de l’Intérieur (rien que ça) rétorque : Alfon est lié à des groupes de jeunes antifascistes, et notamment aux Bukaneros qui soutiennent le club de football populaire du Rayo Vallecano et dont le siège fera également l’objet d’une fouille en règle. Alfon vit depuis un cauchemar, menacé d’être transféré à des milliers de kilomètres de sa famille. Pour sa mère, Elena Ortega, cet acharnement vise « à endiguer le soulèvement populaire » qui convulse l’Espagne depuis le début de la crise économique. « Cette stratégie veut paralyser les mouvements sociaux, poursuit-elle. Alfon est l’otage d’une politique pour l’exemple. » Elle en appelle à l’Union européenne et aux collectifs de défense des droits de l’homme. Car « Alfon va mal, il est nerveux et il est inquiet », confie Elena. Ce régime spécial est une torture psychologique, car il est considéré comme coupable sans jugement ni condamnation. Son procès d’ailleurs ne pourrait avoir lieu que dans trois ans, voire quatre ans. « C’est la criminalisation de la pression sociale et populaire, et particulièrement à l’encontre des jeunes des quartiers qui se battent, assure Elena. On s’en prend aux gens qui ont une conscience de classe. » Cela se passe en Espagne, non pas durant les heures ténébreuses de la dictature, mais aujourd’hui, dans un État dit de droit et démocratique. Elena et Alfon, leur famille et proches peinent parfois à y croire. « On voudrait le fusiller qu’on ne s’y prendrait pas autrement », avoue cette mère Courage.
Article publié dans L’Humanité