Après Julien "Brigada" en juillet dernier, c’est un autre membre éminent des Red Warriors qui nous quitte prématurément : toutes nos pensées vont à ses proches. Investi dans l’asso les Marmoulins de Ménil, Rico avait autant la solidarité que l’antifascisme solidement rivés au cœur, et pour l’une comme pour l’autre, il ne se payait pas de mots. L’Anticapitaliste lui a consacré un portrait assez complet, qui revient sur ses différents engagements. Pour notre part, comme nous l’avions fait pour Julien, nous lui donnons la parole à travers une interview qu’il avait donnée pour le livre Comme un Indien métropolitain, dans laquelle il revient sur ses années de jeunesse.
Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été skinhead. Je me suis cassé de chez moi vers 13-14 ans : j’ai coupé très vite les liens avec ma famille, mon beau-père, il était responsable de l’Amicale des anciens légionnaires parachutistes et de la section du Front National de Rosny-sous-bois. Ensuite, j’ai traîné avec la bande des Halles, mon surnom, c’était « Blackskin ». Dans la bande des Halles, il y avait de tout, des Juifs, des Portugais, des Noirs. Je m’amusais bien, on embrouillait tout le monde, les punks, les skins, les fafs… C’était le délire de l’époque. Mais déjà à ce moment-là, il y avait des embrouilles avec les skins de Gambetta, parce qu’ils portaient le drapeau français. L’autre élément important, c’est que j’ai été au placard très tôt. En prison, j’ai rencontré plein de gens, des proches d’Action directe, mais aussi du mouvement autonome, des personnes qui faisaient le fanzine Otages. Il y a eu diverses émeutes en prison qui étaient assez drôles, qui m’ont ouvert ma conscience politique. On se politisait aussi à l’instinct et ça fonctionnait beaucoup par raya, l’affinitaire jouait beaucoup.
A cette période-là, je ne traînais déjà plus aux Halles. À l’Usine je suis tombé sur des gens intelligents, qui m’ont pris et accepté comme j’étais. Des gens qu’on ne trouve plus aujourd’hui, qui te jugeaient par rapport à ton vécu, à ce que t’étais, et pas forcément à ton look. J’avais intégré le SO de l’Usine, où j’étais le plus jeune. Les autres avaient la trentaine. J’avais fait avec Sergio tous les concerts en Normandie, où il y avait pas mal de fafs, et j’accompagnais déjà les Bérurier Noir.
L’intégration au SO Bérus, elle s’est faite comment ?
C’est un truc qui date de l’Usine. Les Bérus voulaient être sûrs que dans leur concert il n’y ait pas de fafs, et que le public se fasse pas tabasser, comme c’était souvent le cas. Avec l’Usine, on faisait aussi la sécu pour des pièces de théâtre, pour les premiers Warhead, on avait l’habitude de cette scène et de ce public. Aux concerts de l’Usine, les punks se faisaient pas taper dessus. Donc c’est là où il y a eu la rencontre avec les gens du Scalp, des gens qui bougeaient avec eux. En gros le SO Bérus, c’était des jeunes cons qui en voulaient qui ont rencontré des vieux cons qui en voulaient, et à qui on rappelait pleins de choses. En province parfois c’était chaud. Au début il y avait des fafs à chaque concert. A Lyon on a bien rigolé, à Bordeaux on s’est fait des bikers. Les mecs venaient faire les malins près de la salle, on faisait rentrer le public et après on allait faire courir les fafs. Dans le SO il y avait des rouges et des noirs, mais il y avait une bonne fusion. Il y avait de pures engueulades dans la camionnette sur la route, mais tout le monde était hyper carré pour la sécurité du public.
Et les Red Warriors ?
Dans le même temps le milieu skinhead en France a commencé à se politiser de plus en plus, et pas sur mes bases. Je me considérais déjà comme redskinhead. En plus, j’étais catalogué par les fafs, qui avaient mis ma tête à prix depuis un bon moment. Il faut dire qu’avec quelques copains, on avait commencé à allumer pas mal à droite. Pour moi c’était drôle de dérouler du faf.

Au niveau des Red Warriors, tout le monde dans la bande n’était pas forcement politisé comme Julien, qui défendait encore tant bien que mal le PCF ou Arno qui était prêt à passer à la lutte armée. Mais on était tous clairement antifas, prêts pour la chasse. Il faut reconnaître aussi que des fois, on savait pas quoi faire le soir, on prenait les motos, et on allait chasser à l’aventure. Les Red Warriors étaient un groupe très mobile, qui avait sept motos pour quatorze mecs. On se voyait pas forcément tout le temps. Si on était en ballade, et qu’on repérait un bar de fafs, on pouvait très bien leur tomber dessus.
Ça s’est terminé comment les Red Warriors ?
Vers 1991. Il y a pas vraiment eu de fin. C’est la réalité du terrain qui a mis fin à l’histoire. Les gros skinheads qu’on déroulait, ils avaient disparu de la circulation dans les rues de Paris. Et puis chacun avait posé sa vie aussi. Certains avaient eu des gamins, d’autres ont quitté la France.
Quelles sont les orgas qui sont venues vous recruter ?
Moi j’ai été au Parti des Travailleurs. Le PT, c’est toute une embrouille. Les potes là où j’habitais, ils étaient tous au PT, et ils voulaient absolument que je vienne avec eux. Finalement j’y suis allé. Franchement, ça m’a vite gonflé. Mon premier dimanche matin, ils m’ont convoqué pour que Lambert m’apprenne l’histoire de la classe ouvrière. Et puis un jour avec un pote, on était complètement bourrés sur le parvis de Jussieu, j’ai fait l’apologie de la lutte armée, après avoir fait cramer des affiches de l’UNEF-ID dans leur local. Au bout d’un moment, les mecs du PT sont venus me voir en me disant : « Bon Rico, ça serait bien que tu sois plus chez nous », et du coup je suis parti.
Une cagnotte est organisée par les Marmoulins pour la famille et les amis de Rico pour lui offrir des funérailles dignes de ce nom et assurer l’avenir de ses enfants :
https://www.helloasso.com/associations/les-marmoulins-de-menil/collectes/rico