SavoieLes femmes de la résistance à l’honneur

Le Réseau Antifa Savoie reprend du service et vous propose une lettre ouverte sur les femmes de la résistance.

Dans toutes les villes, le devoir de mémoire est central ; surtout dans une ville comme Chambéry qui a été un des hauts-lieux de la Résistance dans la région. Aussi qu’elle n’a pas été notre agréable surprise que de nous apercevoir que la ville de Chambéry a décidé de (re)nommer plusieurs rues afin de mettre à l’honneur les femmes de la Résistance. Même si ce genre d’initiative est encore trop rare, elle reste plus que bienvenue, surtout dans le climat actuel !
Si on ne doute pas que la démarche à la base de cette initiative est féministe, il faut faire attention que dans les actes cela ne puisse pas être interprété comme une forme de « Pink Washing » maladroite et sans vrai coût politique. En effet dans le cas d’une des résistantes qui est mise à l’honneur, il est assez déplorable de noter que les principaux dépositaires de sa mémoire (ses descendants) n’aient pas été avertis. Ce qui peut laisser planer l’impression qu’il s’agit plus d’une instrumentalisation politique que d’un vrai travail de mémoire.
C’est d’ailleurs après avoir été contactés par plusieurs descendants qui n’ont ni été consultés ni inclus/conviés aux célébrations que nous nous sommes décidés à rédiger cette lettre ouverte. Chambéry est une ville ancienne, et depuis plusieurs siècles un centre politique et culturel important dans la région. Et si il est logique, souhaitable même, que l’odonymie de la métropole de Chambéry reflète cette histoire ; il faut selon nous se poser une question importante : à l’heure actuelle, faut-il continuer à privilégier le roman à la mémoire ?
A l’heure où nous écrivons ces lignes, il est certain que le choix du nom des rues qui doivent être modifiées pour faire plus de places aux Femmes de la Résistance à déjà été arrêté. Mais ne faudrait-il pas aussi penser à se pencher sur les odonymes qui renvoient à un passé susceptible d’être instrumentalisé par ceux qui, à la droite de la droite, font du révisionnisme historique leur devoir au quotidien ?
Est-il souhaitable que des personnages controversés à l’heure actuelle, (et pour des raisons somme toute légitimes) soient mis en valeur sans nuance en leur vouant des noms de rues, d’avenues, de places, et ce au même titre que des personnages qui ont rendus fiers la Savoie, la France, voir même le genre humain ; et ce sans avoir été anti-républicain, auteurs de théories racistes ou un fervent partisan de la colonisation ? Quand on donne le nom d’une personnalité à une rue, c’est bien d’un hommage dont il s’agit.
Dans ce cas, est-ce vraiment pertinent de rendre hommage de la même manière à un Paul Bert (architecte majeure de la théorie racialiste française sous la IIIe République) et à un Gabriel Pérouse (fondateur de la conservation historique en Savoie telle qu’on l’entend aujourd’hui) ?
Surtout quand l’on sait que Paul Bert à des noms de rue en son hommage partout en France, et n’est même pas une figure locale… Alors que seuls deux rues, dans toute la Savoie, rendent hommage à la figure locale qu’était Gabriel Pérouse ?
Est-il bien souhaitable de rendre hommage sans distinction autant aux frères de Maistre, anti-révolutionnaires notoires et conservateurs pour leur époque, qu’au Comte de Boigne, qui malgré une vie agitée s’est justement illustré en permettant aux populations hindous de résister à la colonisation anglaise ? Et qui a été une figure révolutionnaire locale ?
Est-il bien pertinent de célébrer un prosélyte religieux comme Joseph de Maistre, (ultra conservateur pour son époque on le rappelle) , au même niveau qu’un personnage progressiste comme Jean-Jacques Rousseau, qu’on peut considérer à juste titre comme l’origine de notre laïcité, puisqu’il a ouvert la voie à des penseurs comme Aristide Briand ?
Enfin, et surtout à la vue des controverses récentes entourant sa pensée et sa réelle contribution, est-il toujours pertinent de célébrer un Pierre de Coubertin (fervent partisan de la colonisation, soutien de l’Olympiade nazie de 1936, entre autres choses) de la même manière qu’on peut célébrer le couple Pierre et Marie Curie ?
Nous avons abordé brièvement la question de la laïcité en évoquant les contributions de Jean- Jacques Rousseau et Aristide Briand. Les récentes controverses venues de la Droite et de l’Extrême-Droite ne doivent pas nous faire oublier que factuellement, ne serait-ce qu’au travers de la toponymie et de l’odonymie, notre espace public n’est pas laïc, en tout cas pas dans l’acceptation républicaine qui est faite de cette notion politique.
En effet, l’espace public, loin de ne mettre en avant aucune religion… En mets une en avant principalement, et ce en occultant d’autres religions qui ont une place très importante dans l’histoire de la Capitale des Ducs de Savoie.
Combien de noms de place faisant référence à la religion catholique existent dans la métropole de Chambéry ?
La liste est très longue et fournie : Place St-Léger, Rue Sainte-Appolonie, Rue St-Antoine, Rue St-Réal, Chemin du Calvaire, Passage St-Benoît, Impasse Sainte-Anne, Passage et Montée St-Sébastien … Et la liste est très longue. Combien de noms font références aux communautés protestantes et juives de la ville, passée ou présente, alors même que la présence des ces communautés est vieille de plusieurs siècles et leur apport à l’histoire de la ville est indéniable ? Très peu. Il n’est pas question en soit de critiquer la présence de référence à l’histoire catholique de Chambéry. Il s’agit de dénoncer un déséquilibre dans la manière dont l’odonymie peut refléter et rendre compte de l’histoire d’une ville. En ce sens là, le cas de la Rue Juiverie interroge. Chambéry a toujours eu une communauté juive bien implantée et plutôt importante (dès le XIVe siècle). Cependant, il faut constater que le nom même de Juiverie est un reflet de l’antisémitisme qui teintait la vision des contemporains des communautés juives de Chambéry. Le nom de Juiverie désigne la manière dont les juifs étaient vus, et non la manière dont les intéressés se percevaient eux-même. La bonne solution ici serait de faire installer des plaques et panneaux remettant le nom de la Rue Juiverie dans son contexte historique et sans rien cacher du caractère problématique et chargé d’histoire de ce nom. Aussi, et c’est impossible à deviner à la vue de la toponymie de Chambéry, la Savoie a eu une histoire protestante riche, voire fondatrice ; au travers d’abords des Vaudois, puis de l’Église Reformée. Il est donc dommage de voir que les persécutions spectaculaires de la fin du XVIIe siècle ont finalement eu définitivement raison de la mémoire historique de l’histoire des protestants en Savoie et à Chambéry, et ce alors même que Chambéry compte actuellement une communauté protestante dont la présence ne saurait être négligée. Ainsi donc il apparaît que tout ceci doit remettre en question une laïcité telle qu’elle est présentée actuellement, une laïcité qui non contente de ne pas tenir ses engagements (il y a bien une religion mise plus en avant dans l’espace public, même si c’est de facto et non de la volonté des pouvoirs publics), en réalité ne peut pas les tenir (puisqu’il n’est pas pensable de faire disparaître toute référence catholique de l’espace public). Aussi, au travers de cette lettre ouverte, nous nous faisons les défenseurs d’une laïcité œcuménique, qui permettrait à tout les facettes de l’histoire de Chambéry d’être représentées dans son odonymie. Puisqu’il n’est pas question de faire disparaître les références catholiques de l’espace public, autant représenter l’histoire de la ville dans son entièreté. Pourquoi pas, même, rendre un hommage appuyé à la laïcité par la même occasion ? Les noms de rues faisant référence au Catholicisme sont si nombreux, et l’espace public saurait bénéficier d’une Avenue de la Laïcité ou bien d’une place de la Loi 1905 !
La laïcité doit permettre à tous de pratiquer ou non une religion, de la manière dont on le souhaite, non interdire à tous de pratiquer une religion, c’est évident. De même, une toponymie et une odonymie laïque ne doivent pas invisibiliser toutes les religions au profit d’une seule, mais bien représenter un territoire, une ville, son histoire, sa culture, ses habitants, dans leur entièreté. Comme il est question de représenter une population dans son entièreté (ce qui est aussi à la base même de notre Démocratie)...
A qui donc s’adresse une initiative comme la modification de l’odonymie (surtout quand il s’agit de célébrer une partie de notre histoire commune), sinon... Au public le plus général possible ?
C’est quand même dommage de ne pas impliquer davantage celles et ceux qui sont directement concernés (les descendants vivants des Résistantes mises à l’honneur) ; et le public qui sera, (positivement, nous l’espérons) , impacté directement par un changement qui affecte (durablement) un aspect de l’espace public avec lesquels chacun et chacune interagit au quotidien...
La relative discrétion qui entoure cette initiative (excellente au demeurant) nous interroge. Pourquoi être discret à propos d’un événement qui fait référence à une partie de l’histoire qui permet malgré tout d’être fier de l’histoire nationale et régionale même lors de ses plus sombres heures ? Nous attirons votre attention sur le fait que c’est bien l’honnêteté intellectuelle qui nous fait parler de « discrétion » à défaut de parler « d’absence de célébration et de communication en bonne et due forme et adaptée à la portée symbolique de cet événement.
Les communications ont été rares de la part de la municipalité à ce sujet, et si les journaux locaux en parlent, il n’est pas possible de trouver des images où des vidéos de l’événement... Ce qui laisse à penser qu’il n’y a pas eu de cérémonie en bonne et due forme, ou autre forme d’événement public. Le timing interroge, alors que les célébrations commémoratives des mois de Mai et Juin à propos de la Libération approchent. Et enfin, aucune cérémonie ou événement futur ne semble prévu à ce sujet(projection de films, exposition, cérémonie publique...)
Quand il s’agit de féminisme et de Résistance (entre autres), ce qui peut être interprété comme une certaine forme de pudeur et de discrétion semble à minima inapproprié. Nous voyons mal pourquoi un événement qui serait aussi fédérateur n’est pas célébré comme il se doit (par exemple en conviant tous les descendants des Résistantes mises à l’honneur ce qui n’a factuellement pas été fait…). À moins que, par une stratégie imposée par le climat politique actuel la municipalité ait voulu s’épargner non pas les foudres de la droite mais l’ire de l’extrême-droite la plus radicale. Aussi cette stratégie nous laisserait perplexes surtout venant d’une mairie de gauche et citoyenne : est-il souhaitable de faire preuve d’une certaine forme de pudeur au moment de célébrer la Résistance française et savoyarde durant la seconde guerre mondiale, tout ça ne pas froisser les héritiers idéologiques de la collaboration et du pétainisme ?
Soyez certains que nous espérons sincèrement qu’une telle supputation s’avère fausse et infondée. Pour un maire désigné par la presse de Gauche comme antifasciste(1), amorcer une transformation de l’espace public pour le rendre plus juste et laïc est une gageure.

Antifascistement,
Réseau Antifa Savoie

PS : Cette lettre sera rendue publique. Bien que nous nous soyons focalisés sur les femmes de la Résistance (qui sont des figures du patrimoine local) et non sur les autres figures féminines auxquelles il a été rendu hommage, le propos de notre lettre ouverte demeure pertinent dans ce cas là aussi.