Si tous les yeux sont braqués vers l’Italie, il ne faut pas oublier qu’en Suède aussi, l’extrême droite est aux portes du pouvoir… C’est l’occasion pour nous de nous pencher sur l’histoire des "Démocrates de Suède" (qui n’est pas sans rappeler la situation française), leur stratégie et leur idéologie.
Les projecteurs de l’actualités furent braqués le 25 septembre sur le résultat des élections législatives italiennes. En effet, une coalition entre l’extrême droite (Fratelli d’Italia et la Ligue du Nord) et la droite (Forza Italia du bouffon Berlusconi, transformé en momie plastifiée) ravit la victoire avec presque 43% des voix. Giorgia Meloni, une admiratrice de Mussolini, est en position de force pour diriger le prochain gouvernement.
Mais comme un éclair n’apparait jamais dans un ciel serein, ces résultats ne sont pas isolés. Ils traduisent bien sûr une évolution de longue date de montée de l’extrême droite, au niveau européen notamment. Plus récemment, une situation très similaire se joua deux semaines auparavant, lors des élections législatives suédoises du 11 septembre. Dans ce cas, un groupe d’extrême droite aux racines néonazies, les Démocrates de Suède (Sverigedemokraterna, SD) arrivèrent en deuxième position, rompant l’équilibre politique d’un pays dans lequel la gauche modérée était quasiment toute puissante depuis des décennies.
Histoire
On peut définir trois phases principales dans l’histoire de SD, de sa fondation à nos jours :
– de 1988 à 1995 : de l’apparition du groupuscule néonazi à la recherche de dédiabolisation ;
– de 1995 à 2010 : de l’institutionnalisation aux percées électorales ;
– de 2010 à 2022 : l’accélération de son développement, ponctuée notamment par l’entrée au parlement et la crise des réfugié·es en 2015.
Le fil conducteur de cette histoire est la stratégie de normalisation et la recherche d’une image de droite modérée.
1988 – 2006 : de groupuscule néonazi à la recherche de dédiabolisation
Bien que le parti s’efforce depuis des années de normaliser son image et de cacher son histoire, sa naissance fut bel et bien supervisée par ce que la Suède comptait comme fées marraines néonazies. Ceci se traduit dans son ADN malgré tout le maquillage appliqué par la suite pour cacher les verrues, peu rentables électoralement.
Car ce sont bien des visées électoralistes qui font naitre le parti. En effet, il fut fondé en 1988 en vue des élections générales de cette année-là. Les SD étaient l’héritier direct du Parti Suède (Sverigepartiet, en suédois), lui-même le résultat d’une fusion en 1986 entre « Garder la Suède suédoise » (Bevara Sverige Svenskt, BSS), un regroupement ouvertement raciste appelant notamment les Suédoises à ne pas « souiller » leur race en ayant des relations sexuelles avec des noirs, et le Parti Suédois du Progrès (Framstegspartiet).
Son premier auditeur fut Gustaf Ekström, un ancien volontaire des Wafen-SS et membre du Parti National-Socialiste des Travailleurs (Svensk Socialistisk Samling, parti ouvertement néonazi ayant une croix gammée pour emblème). Son premier dirigeant fut Anders Klarström, un ancien membre Parti du Reich Nordique (Nordiska Rikspartiet, néonazi lui aussi).
Parmi ses alliés étrangers se trouvaient le Front National (FN) français, des journaux pro-Apartheid sudafricain, le Klu Klux Klan américain et le néonazi britannique John Tyndall.
Au cours des premières années (fin des années 1980, début des années 1990), cet héritage se traduisit explicitement par des militants paradant en chemises brunes et par la présence de boneheads lors des évènements publics.
Le parti était partie prenante de concerts liés à la version locale du Rock Against Communism (RAC, genre musical d’extrême droite) et sponsorisait le groupe Ultima Thule (boneheads). Tout ceci n’allait pas aider le parti à se défaire de son anonymat et d’avancer électoralement…
1995-2010 : de l’institutionnalisation aux percées électorales
C’est ainsi qu’en 1995 Klarström se voit remplacer, au niveau de la direction du parti, par Mikael Jansson, un ancien membre du Parti du Centre (Centerpartiet, de centre-droit).
Sous son mandat (1995-2005), il dissout l’organisation de jeunesse comprenant de nombreux boneheads et mit fin à l’utilisation d’uniformes politiques afin de redorer l’image du parti. Mais les vieilles habitudes restent difficiles à s’en défaire : une militante, Tina Hallgren, créa la polémique en 1996 en posant en uniforme néonazi.
Comme en France, et tel que nous le verrons par la suite, de nombreux autres exemples suivront en parallèle à cette stratégie de dédiabolisation confirmant que quand on chasse le naturel, il revient au galop. À titre d’exemple, on peut citer Björn Söder, responsable du mouvement de jeunesse des SD, rigolant avec un de ses camarades portant un t-shirt du Ku-Klux-Klan à la fin des années 1990 (Söder est actuellement député SD pour le comté de Stockholm).
Malgré ce genre de hic, la stratégie de normalisation va être poursuivie grâce à la porosité entre la droite et l’extrême droite. En 2006, Jimmie Åkesson (lui aussi issu du Parti du Centre) prend les rênes de la structure et en accélère son institutionnalisation.
C’est cette année-là aussi que le logo est modifié, passant d’une flamme guerrière à une fleur toute-mimi, loin des chemises brunes dans la décennie précédente.
Le discours ouvertement raciste fut remplacé par une prose populiste opposant le petit peuple aux élites corrompues. En 2011, Les SD cessèrent de s’appeler « nationalistes », préférant le qualificatif de « sociaux conservateurs ». L’année suivante, ils appliquèrent une politique de « tolérance zéro envers le racisme » leur permettant de continuer à lisser leur image. Tout comme l’a fait le FN sous la coupe de Marine Le Pen, les membres trop ouvertement extrémistes furent soit viré-es soit empêché-es de rejoindre le parti et de l’eau fut mis dans le vin du programme politique, notamment sur les questions d’immigration et de peine de mort. Fait très révélateur, cette position fut par contre très tolérante vis-à-vis des positions islamophobes.
La stratégie se voulut payante car le parti voit ses résultats électoraux doubler au cours de trois scrutins consécutifs : en 2006, 2010 et 2014. Celui de 2010 (339 610 voix, soit 5,7% et 20 sièges) fut particulièrement important car il permit leur entrée au parlement.
2010-2022 : accélération du développement
Pour les SD, les élections se suivent et se ressemblent : une percée laisse rapidement à la place à une autre plus importante. Ceci créa des crises politiques dans un pays où les gouvernements se forment sur la base de coalitions, mettant fin au cordon sanitaire séparant l’extrême droite de la droite et rabattant les cartes de l’opposition aux sociaux-démocrates (principale force politique du pays). Tout ceci se déroula sur fonds d’accueil de réfugié-es en 2015 et l’instrumentalisation qui en fut faite par les xénophobes.
Au cours des élections européennes de 2014, le parti se hissa en 5e position avec 9,7% des voix et obtenant 2 eurodéputés. La même année, lors des élections générales, il devint le troisième parti avec 12,9% des suffrages.
Pendant les élections générales 2018, ils obtinrent 17,6% des votes et 62 sièges, tout en restant le troisième parti du pays. Ils arrivent à imposer leur rhétorique dans le débat publique, profitant de l’accueil de réfugiées et en liant, ô grand classique, l’immigration (surtout si provenant de cultures musulmanes) à l’insécurité. Bien que cette dernière soit peu élevée dans le pays, la violence de gangs fait souvent la une des journaux. Tout ceci sur fond d’attaques à la sécurité sociale par les gouvernements successifs et dont le/la coupable idéal·e est tout de suite montré·e du doigt : l’immigré·e, masquant une répartition de plus en plus inégale des revenus au détriment des classes laborieuses.
Ces élections consacrèrent également l’institutionnalisation des SD en brisant le cordon sanitaire les ayant jusqu’alors isolés de la droite. Auparavant des parias, ils furent accueillis par les Chrétiens Démocrates (centre-droit/droite) et le Parti Modéré (centre-droit). Les leaders de ces derniers déclarèrent publiquement leur intérêt à collaborer avec les SD et, localement, les nouveaux compères entrèrent en coalitions dans des municipalités telles que Staffanstrop, Herrljunga ou Bromölla.
Les élections législatives de septembre 2022 hissèrent les SD en deuxième position (20,5% des votes et 73 sièges sur un total de 176), derrière les Sociaux-démocrates (30,3% des voix) mais devant tout les partis de droite. Les résultats le placent en position de force dans la création d’un nouveau bloc conservateur (du centre-droit à l’extrême droite) totalisant un peu moins de la moitié des votes (49,6%) devant celui de gauche (48,9%). La droite est désormais reconstituée non seulement en les intégrant mais également en les plaçant comme pivot.
Idéologie
Ce succès s’explique de part un contexte de crise en Suède, tant interne (progression des inégalités, attaques répétées sur la sécurité sociale, déclassement social, désindustrialisation, hausse du chômage, etc.) qu’externe (guerre en Ukraine, Covid-19, inflation généralisée, etc.), et par ailleurs de l’imposition de la rhétorique classique de l’extrême droite : utilisation des réfugié·es au titre de boucs-émissaires et la violence de gangs. Au lieu de dénoncer les atteintes aux droits sociaux, le débat public s’est porté sur les thèmes chers aux dominant·es : le danger c’est les autres. Au lieu de parler de luttes de classes, ils mirent en avant l’identité suédoise. Un genre de discours parfaitement entendable et assimilable pour la droite classique.
Tout ceci fut du pain béni pour les SD et leur stratégie de dédiabolisation. A l’origine, leur programme incluait le rapatriement de la plupart des immigré·es arrivé·es dans les années 1970, l’interdiction de l’adoption d’enfants étrangers ainsi que le rétablissement de la peine de mort.
Comme nous l’avions déjà indiqué précédemment, ils adoucirent leur discours tout en continuant à s’en prendre aux musulman·es. Leur popularité augmenta à la suite de la crise migratoire de 2015, concomitante aux atteintes aux droits sociaux. Une partie des classes populaires commencèrent alors à se distancier des sociaux-démocrates et à se rapprocher des SD et de leur discours populiste, quelques années avant que la droite en face autant par opportunisme électorale.
Leur rhétorique se résume à blâmer les musulman·es pour la hausse de l’insécurité et la mise à sac de l’Etat providence (illes coûteraient trop cher à la protection sociale et les Suédois·es en paieraient le prix). Au-delà du fait qu’attaquer une religion au lieu d’une couleur de peau soit plus acceptable aujourd’hui, les SD mettent en avant des « différences culturelles » insinuant que leur intégration n’est pas viable. C’est ainsi qu’en 2021, le secrétaire du parti, Richard Jomshof, qualifia l’Islam de « religion détestable ».
Leur islamophobie explique certainement leur soutien à Israël et à l’idée de reconnaitre Jérusalem comme sa capitale, allant même à proposer d’y déplacer l’ambassade suédoise. Cependant, les autorités israéliennes refusent tout contact avec eux-elles du fait de leurs racines néonazies.
D’un point de vue économique, leurs positions sont de droite : remise en cause de la protection sociale (en particulier pour les étrangers), politique fiscale favorable aux entreprises et aux élites ainsi que le désengagement de l’Etat dans l’économie. Ils sont favorables à la subvention des énergies fossiles (ils sont d’ailleurs le seul parti à s’être opposé à l’Accord sur le Climat de Paris).
Bien que se définissant eux-mêmes conservateurs, les SD sont favorables au mariage pour tous et les opérations de changement de sexe. Ils sont, toutefois, opposés à l’adoption par les gays, préférant la structure familiale traditionnelle sur ce point.
On retrouve un grand classique également au niveau du rôle de l’armée. Les SD sont pour son développement ainsi qu’à la hausse du budget qui lui est alloué.
Affaires
Comme nous l’avons vu, la dédiabolisation fut non seulement la principale stratégie des SD mais également le facteur clé permettant leur institutionnalisation dans le jeu politicien suédois, devenant ainsi la principale composante du nouveau bloc conservateur. Toutefois, tout comme pour le Rassemblement National en France, cette stratégie n’étant essentiellement qu’une opération marketing, un grand nombre d’affaires sont apparues sur l’espace public montrant que, sous la surface, le diable se cache dans les détails. Passons en revue quelques exemples dans le cas des SD.
Dans un rapport d’Acta Publica, les chercheurs ont identifié 289 politiciens suédois exprimant des idées racistes et/ou néonazies, dont 214 membres pour les SD seulement. Loin de se limiter à la haine du musulman, leur racisme s’exprime également contre tout ce que les SD n’identifient pas comme étant suédois. Par exemple, dans un interview alors qu’il était secrétaire du parti, Björn Söder déclara que les personnes ayant une double nationalité ne pouvaient pas être considérées comme suédoises ou encore celles et ceux ayant des origines étrangères devaient être assimilé·es (en gros, devant se plier à la définition restreinte des SD) au lieu de s’intégrer (ce qui impliquerait une intégration venant enrichir la culture d’un pays).
Pour continuer à pousser la chansonnette du ridicule, parlons des Samis. Il s’agit d’un peuple autochtone vivant dans le Nord des pays scandinaves et dans la misère. Selon la logique de l’extrême droite, ils devraient être plus suédois qu’eux-mêmes, étant ceux-ci de « souche »… or ce n’est pas le cas. Le même Söder, étant à l’époque vice-président du parlement, déclara en 2014 que les Samis n’étaient pas suédois, tout comme les Juifs d’ailleurs… Ceci montre bien que l’identité pour l’extrême droite n’est aucunement lié à des racines historiques mais plutôt à des notions arbitraires et définies par les extrémistes eux-mêmes et justifiant des politiques d’exclusion et donc de maintien de privilèges.
La star internationale de football Zlatan Ibrahimovic, d’origine yougoslave, en fit d’ailleurs aussi les frais quand Niclas Nilsson déclara dans le Guardian qu’il n’était pas suédois, ayant grandi dans des quartiers de Malmö « où il n’y pas beaucoup de suédois, et ayant ensuite voyagé de pays en pays, donc il est un peu suédois mais aussi cosmopolite ».
Les éléments islamophobes ne sont pas en reste. En 2010, les SD sortirent une vidéo de campagne montrant des femmes en burqa dépassant des bénéficiaires d’aides sociales pour réclamer des aides publiques.
En novembre 2012, des vidéos de 2010 ont été révélées montrant les députés SD Kent Ekeroth, Erik Almqvist et Christian Westling s’en prenant au comédien d’origine kurde Soran Ismail. On y voit Almqvist faire référence à la Suède comme étant « mon pays, pas le tien » en guise d’insulte à Ismail. Par la suite, alors qu’une femme s’approche d’Ekeroth, celui-ci la traite de pute et la repousse du chemin. Les vidéos firent scandale et afin de ne pas mettre en risque la stratégie de gendre idéal du parti, Almqvist et Ekeroth se virent obligés de laisser leurs fonctions parlementaires.
A peine deux semaines plus tard, le député SD Lars Isovaara prétendit avoir été attaqué alors qu’il était dans son fauteuil roulant « par deux inconnus d’origine étrangère » et qui lui volèrent son sac à dos. Le parti avait initialement défendu leur député jusqu’à que le journal Expressen révéla ultérieurement qu’Isovaara avait tout simplement oublié ses affaires dans un restaurant et que deux hommes l’avaient au fait aidé après qu’il soit tombé de son fauteuil.
Le député commençait à ternir la belle image que les SD se bâtissaient, en particulier après qu’il se soit fait remarquer, dans un autre incident, en insultant avec des propos racistes des agents de sécurité du parlement…
Isovaara dut donc être remplacé… par Markus Wiechel qui en qualifia ensuite avril 2013 un groupe de noirs comme étant des « singes »… Décidemment, le sort s’acharne.
Un mois plutôt, en mars 2013, douze membres du parti se virent expulsés en raison de leur implication dans des mouvements extrémistes, dont néonazis. En novembre de la même année, Jonas Åkerlund (député et vice-président des SD à l’époque) attira l’attention quand un enregistrement de lui refit surface au cours duquel il faisait référence aux immigré-es comme étant des « parasites ».
Une autre vidéo fut publiée en octobre 2016 mais cette fois-ci montrant Oscar Sjöstedt, un autre député, faisant des blagues antisémites.
Le même mois, des échanges de mails de 2011 furent connus publiquement entre la députée Carina Herrstedt et son conjoint remplis des commentaires racistes (qualifiant de « nègres » un joueur de foot), antisémites, homophobes et haineux envers les Rroms (les équivalant à des voleurs-euses).
Bien d’autres exemples accompagnèrent la stratégie de dédiabolisation du parti, sans pour autant pouvoir les démasquer et d’empêcher leurs succès électoraux.
Ceux-ci se doivent avant tout à la dégradation des niveaux de vie des classes populaires qui se retrouvent sans représentation politique à même de défendre leurs intérêts. La gauche modérée, en qui elles crurent pendant des décennies, est elle-même celle qui est à l’origine des attaques qu’ils subissent avec la remise en cause des droit sociaux. Face à cela, le discours public laisse les portes de plus en plus ouvertes à des formations d’extrême droite qui s’en prend à tou·te·s ceux-celles ne rentrant pas dans leurs étroites définitions de ce qui serait être suédois·e. De plus, quand ces formations jouent le jeu de "gentils partis" remplaçant les croix gammées par des fleurs, cachant le fond raciste de leur idéologie, les caméras et les micros s’y intéressent de plus en plus. La droite classique, en manque de vote populaire, ne peut que singer et/ou tout simplement s’unir à eux à des fins électoralistes.
On voit toute la limite d’un antifascisme moral, servant simplement aux jeux politiques du moment.
L’antifascisme authentique prend ses racines dans la lutte des classes, la défense des droit sociaux et le renversement du capitalisme, système qui génère le fascisme dans sa phase pourrissement.
C’est cette alternative qui peine à naître mais qui est appelée à revenir sur la scène historique et faire changer la donne.
La Horde