Ce livre de Johann Chapoutot, Christian Ingrao et Nicolas Patin paru aux éditions Tallandier retrace une histoire totale du national-socialisme de sa naissance en 1919 jusqu’à l’effondrement du régime nazi (en tant qu’entité politique active) en 1945. Ce choix de date est expliqué dans l’ouvrage. 1919 car c’est sur la signature du traité de Versailles que se construira la pensée politique majeure qui va amener l’Allemagne à basculer dans le nazisme et 1945 car dans les décombres de la fin de la seconde guerre mondiale va s’arrêtera l’histoire politique dominante du nazisme.
Une approche d’historiens
C’est en historiens que les 3 auteurs abordent la question du nazisme, un choix motivé par le fait de présenter le nazisme dans son existence réelle. Il ne sera pas question dans cet ouvrage des origines de l’antisémitisme (colonne vertébrale du mouvement nazi), qui a pris une ampleur inédite durant tout le 19e siècle et sera profondément ancré dans toute l’Europe au début du 20e siècle, ni de la survivance du nazisme en tant que mouvement politique et philosophique après 1945. Mouvement qui n’aura plus de réelles avancées, les néo-nazis s’inscrivant dans l’adoration de la période de 1933 (date de l’arrivée de Hitler au pouvoir) jusqu’à 1945 (date de la reddition de l’Allemagne). Les auteurs se sont attachés à présenter à la fois les aspects politiques, philosophiques mais également sociétaux du nazisme. Ils n’ont pas suivi simplement les grands événements historiques du nazisme mais également la vie quotidienne des gens, l’adaptation du droit allemand aux théories raciales, la politique étrangères de l’Allemagne nazi et les renoncements des puissances de l’époque à lutter contre le régime qui monte, souvent par proximité avec la pensée nazi dans l’antisémitisme et la crainte des mouvements communistes européens.
Des clarifications nécessaires
L’ouvrage est dense mais se lit facilement grâce à une langue claire et un style accessible. Sa force tient dans certaines clarifications qu’il apporte. Quelques exemples pris au hasard :
– Les nazis sont arrivés au pouvoir par les urnes : Ce n’est pas tout à fait vrai. Hindenburg était certes sénile et la république de Weimar agonisante mais Hitler n’a cessé d’agiter la menace d’une guerre civile soit par ses milices si les Nazis n’accédaient pas au pouvoir soit par crainte des « rouges ». Les SA puis les SS n’ont cessé d’entretenir un niveau de violence extrêmement élevé dans les rues du pays. Cela a largement contribué à sa nomination comme chancelier.
– Les puissances européennes et slaves n’ont rien fait pour soutenir la république allemande et d’une certaine manière autant par crainte des communistes que par un antisémitisme profond : elles n’étaient pas dans un réel désaccord avec ce qui se passait en Allemagne. Elles n’ont finalement réagit que lorsque l’extension territoriale allemande est devenue gênante pour elles.
– Certains historiens ont tenté de minimiser le rôle de la Wehrmacht dans le génocide mais il est aujourd’hui prouvé que l’armée allemande a largement contribué aux exterminations.
– L’organisation du monde nazi était bien pensée et très efficace. C’est un mythe, dans le sens où la bureaucratie allemande s’est considérablement gonflée, très vite et souvent en fonction d’intérêts particuliers, provoquant des couches sans fin de bureaux, d’offices, de services dont au final plus personne ne savaient à quoi ils servaient et qui le dirigeaient. Les élites nazis se sont engouffrées dans cette sur-bureaucratisation totalement bordélique. Hitler et ses caciques, dans leur délire mégalomaniaque ont lancé des milliers de projets, en fonction de leurs envies et visions du moment, sans jamais s’intéresser aux suivis et à l’organisation de la mise en œuvre de ces projets, détournant des ressources massives pour commencer des projets qui n’aboutissaient jamais. Les seuls qui ont été maintenus coûte que coûte étaient les projets d’exterminations de ceux et celles qui « corrompaient et affaiblissaient la race allemande » : juifs/juives, slaves, tsiganes, homosexuel.les, communistes, handicapé.es.
Un livre formateur pour comprendre la mécanique du nazisme, hier et aujourd’hui
En conclusion, « Le monde Nazi » n’est pas un énième livre sur le nazisme mais une remise à jour des dernières recherches sur la montée, l’apogée puis la chute de cette idéologie. Chute toute relative car elle perdurera après 1945 mais en tant qu’idéologie morte, c’est à dire sans nouveau développement. Malgré des tentatives comme la création du GRECE, les développements de la science ont démontés pièce par pièce les arguments biologisants de la notion de race telle que les nazis l’avaient imaginée.
Cependant l’extrême droite actuelle démontre chaque jour qu’elle n’accepte pas la réalité et que ses fondamentaux restent fictifs. Si elle ne fait plus directement référence aux théories raciales nazis, elle n’en reste pas moins attachée à la construction sociale que les tenants du « 3e Reich » ont mis en place : glorification de la violence, revendication de l’inégalité comme fondement politique, soutien à un capitalisme forcené dans la gestion économique et toujours cette obsession d’un âge d’or qui reviendrait après une purification de la société de ses éléments « impurs ».
Et pour finir, les politiques qui ont permises la prise du pouvoir par les nazis dans les années 30 ne cessent de hanter notre présent et si l’histoire ne se répète pas, elle doit nous servir à être lucide sur ce qui se passe aujourd’hui. Les divisions face à la menace fasciste et les intérêts de quelques politiciens inféodés au capitalisme sont des dangers intemporels pour les antifascistes.