Analyse du Collectif Antifasciste d’Orléans sur les liens entre écologie et extrême-droite.
Parce que réchauffement planétaire et montée de l’extrême-droite sont des problèmes que l’on peut chercher à combattre ensemble, certain.e.s d’entre nous s’attelent à construire et défendre une écologie sociale, populaire et antifasciste.
Pour celles et ceux d’entre nous qui cherchent de la matière sur cette thématique, on peut s’intéresser à l’ouvrage du Zetkin Collective, Fascisme fossile. L’extrême droite, l’énergie, le climat et l’article Vers un front climatique antifasciste. On peut également relire l’article Pourquoi les écologistes doivent-ils être antifascistes ? et l’article Écofascisme, la rhétorique du virus (théorie et analyse).
Écologie : floraison toxique sur le terreau écolo
Face au constat de porosité et d’affinité entre certains groupes militants écologistes et d’autres réactionnaires, notamment lors des manifestations anti-pass sanitaire de cet été, le Collectif Antifasciste d’Orléans a tenté d’analyser les liens entre écologie et extrême-droite.
Comme d’autres thèmes politiques, l’écologie n’échappe pas à une réappropriation par les forces d’extrême droite. Nous faisons l’hypothèse qu’une écologie réactionnaire parvient aujourd’hui à réunir des groupes en apparence assez hétérogènes voire opposés, tels que des écologistes de gauche type Colibris, jusqu’à l’Action française en passant par Réinfocovid.
Ce courant de pensée a par exemple agi comme un dénominateur commun à la présence de ces groupes dans les manifestations anti-pass de cet été. Les différentes idéologies qu’il charrie participent au renforcement actuel de l’extrême droite. Elles se diffusent de manière assez insidieuse par des thèmes et un vocabulaire de gauche, en y inscrivant des signifiants réactionnaires. Ainsi des idées racistes, essentialistes, conservatrices, autoritaires peuvent s’imposer dans certaines luttes par des discours aux apparences progressistes légitimes.
L’arbre qui cache les réacs
L’extrême droite détourne des mots classiquement mobilisés par la gauche et entretient, plus ou moins consciemment, des imprécisions et des ambiguïtés à leur sujet. Par exemple le « local », le « peuple », les « élites », l’opposition « petit/gros patron », etc. Ce sont des termes très utilisés pour détourner la critique anticapitaliste vers la seule critique de la mondialisation, un discours protectionniste et le renforcement des frontières.
Un autre danger pour les luttes écologistes est leur porosité à l’essentialisme quand elles portent l’idée d’une nature qui serait bonne et qu’il faudrait privilégier.
Dans le mouvement contre le pass sanitaire, une forte présence des adeptes des médecines « alternatives » qui seraient plus naturelles donc meilleures pour la santé était assez révélatrice. La mise en place d’une hiérarchie de principe entre ce qui est naturel et ce qui est « artificiel » est un des éléments les plus importants de l’écologie d’extrême droite. L’écologie intégrale sacralise la Nature qui est appréhendée comme une entité à conserver, à maintenir dans un état originel fantasmé.
Les approches centrées sur le naturel rencontrent aujourd’hui un succès très important malgré toutes les impasses évidentes qu’elles peuvent susciter. Bien que l’arsenic et le cyanure soient naturels, ils ne sont pas pour autant bons pour notre vie. Si le viol ou le meurtre à l’intérieur d’une espèce existent dans la nature, ce n’est pas une justification à ce qu’on les accepte, ou même à ce qu’on les défende dans notre vie sociale. L’écologie d’extrême droite profite de cet engouement pour la Nature et développe à partir d’elle tout un ensemble de positions politiques conservatrices.
Une nature paralysante
Certains mouvements écologiques dérivent alors très facilement vers des positions conservatrices au grand bénéfice de l’extrême droite, sous prétexte que « c’est normal, la nature l’a voulu ainsi ». Une position portée notamment par Pierre Rabhi, figure d’une certaine écologie réactionnaire. L’extrême droite utilise ce procédé de naturalisation pour rendre certaines pratiques sociales normales voire obligatoires ou indépassables.
La sexualité humaine est par exemple systématiquement renvoyée à sa fonction dite naturelle (essentiellement dirigée vers la procréation) ; les questions de genre tentent d’être fondées sur des données biologiques binaires qui les détermineraient intégralement, les femmes étant alors en règle générale réduites à leurs fonctions reproductrices. Cette approche permet d’établir des hiérarchies entre ce qui serait plus naturel donc « plus normal » et ce qui le serait moins ou pas du tout.
Beaucoup de techniques et de pratiques sont disqualifiées en étant associées au transhumanisme. Il s’agit d’un épouvantail assez classique des groupes complotistes et écologistes de droite actuellement. L’écologie réactionnaire s’oppose par exemple, de manière assez consensuelle, à la PMA, à la GPA, au mariage homosexuel ou au droit à l’avortement qu’elle associe à des institutions déviantes et éloignées de notre « vraie nature ».
La naturalisation est en fait une stratégie de dépolitisation. Elle essaie de nier le plus possible la dimension sociale et donc potentiellement politique d’un ensemble de pratiques et d’institutions humaines, plus particulièrement celles qui sont liées au genre ou à la sexualité. Comme la Nature, ces pratiques prenant un caractère tout à la fois sacré et inaccessible ne peuvent, dès lors, plus être discutées ou transformées. L’objectif politique est ici foncièrement conservateur.
Stratégie de dépolitisation
Par la synthèse des positions propres à l’écologie réactionnaire et la présentation des arguments les plus ambigus, il faut alerter le mouvement social que, dans les milieux écolos comme ailleurs, l’extrême droite progresse actuellement en brouillant les repères politiques, en donnant à des mots en apparence assez anodins ou même en apparence marqués à gauche des signifiants réactionnaires. C’est grâce à cette stratégie que nous qualifions de confusionniste qu’elle parvient aujourd’hui à réunir un grand nombre de personnes et de groupes, à imposer ses mots d’ordre et tout un champ lexical, et ainsi à diffuser insidieusement ses idéologies.
Il existe bien sûr, comme dans tout champ politique, des clivages internes et des effets d’échelle. Tous les groupes, toutes les idéologies ne peuvent pas être mises au même niveau de radicalité. Par exemple, les objectifs fascistes sont centraux et assez explicitement affichés chez l’Action française quand ils sont beaucoup moins mis en avant dans la branche Réinfocovid (qui insiste plus de son côté sur les notions d’apolitisme ou de citoyenneté).
Il n’y a pas non plus d’homogénéité parfaite à l’intérieur du champ : certaines positions politiques peuvent parfois se contredire entre elles. C’est notamment le cas pour la revendication de liberté. Quand des personnes affiliées à Réinfocovid ou aux Colibris chantent la liberté individuelle, les groupes royalistes les plus radicaux font plutôt référence à la liberté de la nation, face à laquelle la liberté des individus a en réalité peu de valeur… Les clivages n’empêchent pas l’union de toutes ces forces, favorisée par l’injonction à ne pas diviser et l’apolitisme de notre société individualiste néolibérale qui depuis des dizaines d’années assoit son pouvoir sur le rejet du conflit.
Il est très important pour nous de ne pas rester impuissants face à l’extrême droite et à toutes les formes qu’elle peut prendre aujourd’hui. Plus particulièrement quand elle s’empare de sujets comme l’écologie qui étendent beaucoup ses moyens d’action. Faire face peut passer par une éducation collective aux mots, symboles et stratégies qu’elle utilise : pour apprendre à les repérer, comprendre leurs origines et pour ne pas alimenter « malgré nous » leur diffusion.
Mélissa & Benjamin (UCL Orléans) et le Collectif antifasciste Orléans
— -
Le « local » : décryptage
Une des stratégie de l’extrême-droite, qui assume rarement pleinement ses positions avant que le rapport de force ne lui soit favorable, est d’entretenir la confusion et de laisser planer le doute sur ses intentions. Au sein des milieux de lutte écolo, un mot est particulièrement représentatif de la manière dont le vocabulaire peut, à l’insu de ceux qui l’emploient, être vecteur de signifiant réactionnaire : le « local ».
Il s’agit d’un thème écologiste qu’on rencontre très fréquemment. Pour l’extrême droite, la localité renvoie au terroir, au territoire, à la nation. De même on retrouve beaucoup en ce moment dans les arguments marketing cet argument du « made in France ». Cette notion est beaucoup mobilisée par des groupes comme l’Action française, avec une connotation maurassienne et pétainiste.
De manière plus générale, la consommation de produits locaux est encouragée pour assurer un protectionnisme économique et culturel. Elle permet de préserver une tradition régionale ou française fantasmée. De nombreux influenceurs d’extrême droite font d’une pierre deux coup en étant financés pour faire la promotion du « made in France » et remettre au goût du jour les produits français, on peut citer par exemple Baptiste Marchais ou la marque Kalos.