Analyse9 juin 2024 : la (nouvelle) peste brune aux portes du pouvoir

Alors qu’aujourd’hui des centaines de milliers de gens vont descendre dans la rue à travers toute la France contre la menace de l’extrême droite au pouvoir, on vous propose de lire l’analyse faite par le Comité antifasciste de Saint-Étienne sur la situation actuelle.

« Un peuple déterminé par son sang et enraciné dans son sol. Voilà une phrase bien simple et lapidaire, mais qui a des conséquences titanesques ».
Cette phrase sonnerait volontiers dans la bouche d’une Marine Le Pen ou d’un Eric Zemmour lorsqu’ils défendent l’identité française et la civilisation européenne contre les “colonisateurs”. C’est pourtant Adolf Hitler qui l’a écrite dans Mein Kampf, conformément à leur idéologie fasciste commune fondée sur le déni d’humanité et le refus de l’égalité entre les peuples.
Le rejet et la haine de l’autre, celui qui n’est pas de notre sang, de notre couleur de peau ou de notre culture, est le fer de lance des extrêmes droites, françaises ou non, et ce depuis plus d’un siècle. Il appartient au mythe d’une nation épurée, excluant toutes les personnes de l’anti-France disait l’antisémite Maurras, figure des nationalistes.
Ce 9 Juin 2024, le bras tendu par Emmanuel Macron au Rassemblement National confirme l’entente bourgeoise entre le fascisme et le capital, autour d’intérêts communs et hostiles aux classes sociales inférieures.

L’extrême droite : un discours de haine
Historiquement, la pluie de condamnations concernant les représentant·es de cette extrême droite française ((https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/racisme-xenophobie-rassemblement-national)) (essentiellement pour racisme, xénophobie et incitation à la haine), aurait dû alerter et inciter à ne pas donner de tribune à ces pourvoyeur·euses de haine. Malheureusement, à l’aide des médias, le racisme est devenu une opinion acceptable et non répréhensible.
Dans des discours policés mais néanmoins violents, les chef·fes de ces partis déversent et banalisent leur aversion pour « l’étranger·e » qui doit être exclu·e par tous les moyens (sociaux, économiques, culturels), jusqu’aux rétentions administratives [nourries de fantasmes de déportations.
D’ailleurs, extrêmes droites et médias utilisent couramment la technique du dog whistle ou sous-discours afin d’enrober leurs idéologies racistes. Ils reprennent sans vergogne des principes d’inspiration nazie à grand renfort de néologismes.
A titre d’exemples, la thèse conspirationniste du « grand remplacement » rappelle le Umvolkung en langue nazie ( "changement racial") et est évoquée dans le chapitre "peuple et race" de Mein Kampf, la « remigration » nom beaucoup moins connoté que la « déportation » ou encore l’« islamo-gauchisme » digne descendant du « judéo-bolchévique ».
La percée de l’extrême droite est une longue conséquence d’ un changement de bouc émissaire opéré depuis 50 ans. Le bouc émissaire juif, renforcé par les extrêmes droites européennes de la fin du XIXe siècle, n’est plus la cible officielle, quoique l’antisémitisme de fond persiste. Il a laissé place aux migrant·es d’Afrique et du Moyen Orient, et plus globalement aux personnes racisées dans leur ensemble.
La mécanique du bouc émissaire n’en demeure pas moins la même : désigner un ennemi intérieur, le rendre responsable de tous les maux, s’acharner sur ce groupe d’individus en manipulant les populations meurtries, constituer un déversoir de haine, déshumaniser et enfin détruire ces personnes en exonérant les masses de toute responsabilité comme de toute culpabilité.((Girard R. : Le bouc émissaire. Paris : Grasset, 1982))

Une impression de déjà vu
Rappelons que les gouvernements bourgeois n’ont jamais constitué un rempart contre les fascistes. Au contraire, dès qu’ils se sont sentis menacés face à des révoltes populaires, ils n’ont pas hésité un instant à dérouler le tapis rouge aux fascistes et ainsi mâter toute protestation sociale, par la voie politique ou armée.
En 1922, suite à la marche sur Rome, le roi Victor Emmanuel III offrit par exemple à Mussolini la place de Président du Conseil des Ministres, constituant ainsi son gouvernement fasciste. Ce don grâcieux des pleins pouvoirs par le monarque fait forcément écho à notre situation actuelle. D’autant plus que les circonstances sont similaires : accentuation du chômage et de l’inflation, crise sociale avec grèves et révoltes, montée de l’extrême droite avec, bien sûr, un soutien inconditionnel du patronat et des industriels pouvant compter sur les milices afin d’anéantir toute grève ou protestation sociale.

Le paradoxe RN
Le projet politique du fascisme et de l’extrême droite en général, c’est celui d’une communauté sauvée du déclin par une entreprise de régénération politique et ethno-raciale.
Mais après la victoire du RN ce dimanche, il est tout aussi important de préciser que leur fond politique, en plus d’être raciste, est foncièrement anti-social et, comme le gouvernement Macron, au service des riches.
Déja, Jordan Bardella, la tête de liste du Rassemblement National, a été l’un des députés européens les moins présents au Parlement européen lors du dernier mandat, avec seulement 21 amendements déposés, contre plus de 3000 pour certaines autres têtes de liste.
Coutumier des prises de positions médiatiques proches des salarié·es, du monde ouvrier ou même du monde rural, le parti agit complètement à l’inverse lorsque c’est le moment de prendre positions dans ces mêmes instances parlementaires.
C’est tout le paradoxe d’un vote RN parfois populaire qui va contre ses intérêts. Qu’on se le dise : le RN n’est pas au service des travailleurs·euses pauvres, ni même des classes moyennes. Il ne vise qu’à perpétuer l’ordre établi, en faisant disparaître celles et ceux qui n’y correspondent pas.
Récemment, une émission d’Arte a mis en lumière (pour une raison obscure) la section ligérienne du Front National, présentant divers profils, dont certains particulièrement précaires.
Ces individus affirmaient que le RN représentait, pour eux, un "vrai rempart contre la précarité", allant même jusqu’à inventer de fausses prises de position du parti au Parlement qu’il convient de démystifier. Comment expliquer un aveuglement aussi significatif et un vote contre-productif qui renforce le bloc fascisant ?

Défense des riches
La chute du Parti Communiste dans les années 1980 à fait disparaitre le "bloc" populaire de défense des intérêts des plus pauvres et, comme la nature à horreur du vide, c’est bien le front puis le rassemblement national qui s’est positionné dans cette place laissée vide. Mais en vernis seulement...
En France, le RN manifeste son soutien aux plus riches et au capital à travers tous ses votes. Par exemple, il s’est opposé au rétablissement de l’impôt sur la fortune (ISF), à la taxe sur les superprofits et à celle sur les revenus supérieurs à 3 millions d’euros. De plus, il a voté contre le blocage des prix des biens de première nécessité, contre la hausse du SMIC et contre la gratuité des premiers mètres cubes d’eau, des repas à la cantine et des fournitures scolaires pour les plus modestes, et contre la garantie d’autonomie à 1.063 euros.
Au parlement européen le Rassemblement National a également montré son hypocrisie sociale à travers plusieurs votes.
En 2022, par exemple, les député·es RN ont rejeté une directive visant à garantir un salaire minimum décent en Europe, en argumentant que cette mesure nécessitait d’être compensée par des exonérations massives de cotisations sociales pour les employeurs, ce qui aurait de fait diminuer les recettes de la sécurité sociale.
Le RN a aussi voté contre des mesures destinées à réduire les inégalités salariales entre hommes et femmes. Iels se sont abstenu•es ou ont rejeté les directives proposant des outils d’évaluation non sexistes et une transparence accrue des salaires.
Le parti s’est également opposé à des recommandations visant à améliorer les conditions de travail et les salaires des personnels soignants, ainsi qu’à des mesures renforçant le dialogue social dans les comités d’entreprise européens. Cette opposition montre une préférence systématique pour les intérêts du patronat plutôt que pour ceux des travailleurs•euses et précaires.
Enfin, le RN a refusé des initiatives visant à rendre les multinationales responsables des violations des droits humains et des dégradations environnementales, affirmant que l’Europe ne devrait pas imposer des objectifs contraignants aux États membres, ce qui favorise de fait les grandes entreprises.

Mais finalement, quoi de plus normal pour un parti dont l’idéologie vise simplement à servir de solution de rechange pour le capitalisme en temps de crise ? C’est un outil de contrôle pour la bourgeoisie, qui permet de réprimer le peuple lorsque les moyens légaux de l’État se révèlent insuffisants pour le soumettre.
Le danger est aujourd’hui à nos portes et se dresse devant nous, un peu plus chaque jour qui passe.
Dimanche, le Rassemblement National a réussi une percée historique (bien que prévisible). Ce qui l’était peut être moins, c’est l’attitude d’un gouvernement prêt à céder les clés du pouvoir à l’extrême droite pour tenter de se maintenir électoralement en vue des prochaines présidentielles. Il est clair que l’accès du RN au pouvoir n’était qu’une question de temps mais cela pourrait désormais se concrétiser en quelques semaines.
L’extrême droite, en France et dans le monde, se renforce drastiquement, compte ses troupes et vient toquer à la porte du pouvoir.
La situation est critique et les droits les plus inaliénables se retrouvent une nouvelle fois menacés dans la balance d’une histoire qui n’a de cesse d’oublier son passé.

Mais cette issue est loin d’être immuable et n’est pas une fatalité.
La résistance au fascisme qui monte doit se mener sur chaque front. Chaque interstice. Mener la bataille idéologique passe par la création de résistances, le renforcement de bastions ou encore l’investissement dans les luttes collectives.
En bref, faire front ensemble dans des modalités de luttes concordantes. Car non, si on poursuit ce combat collectif, le fascisme ne passera pas.