Mort de Julien "Brigada""L’idée c’était pas juste de casser du faf, c’était de dire aux gens qu’il fallait réagir"

Julien "Brigada" est mort en début de semaine : nos pensées vont à sa famille et à ses proches, on sait qu’il laisse une place vide dans le cœur de nombreux et nombreuses antifascistes. Adepte d’un antifascisme de rue, il s’est opposé toute sa vie aux fafs, d’abord au sein des Red Warriors, puis dans le SO de la CNT, et toujours aux côtés de celles et ceux qui ne se payent pas de mots.
On vous propose l’interview qu’il avait donné au début des années 2000 pour le livre « Comme un Indien métropolitain » paru aux éditions No Pasaran, dans laquelle il revient sur sa jeunesse et la genèse des Red Warriors.

J’ai commencé par être punk, vers 13-14 ans en 1981 en traînant à Paris, en rencontrant des gens. Je suis issu d’une cité ouvrière de la banlieue est de Paris, et des punks dans une cité, il y en avait pas beaucoup à ce moment là. Au début des années 1980 pour les jeunes de banlieue, Paris c’était un truc très lointain. On y allait jamais. Si les mecs des cités prenaient les transports, c’était pour s’éloigner encore plus de Paris et de leur cité.

Si j’ai quitté un peu ma cité, c’est grâce à ma mère, qui m’a inscrit dans une école expérimentale, autogestionnaire, l’école Decroly. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré des keupons qui traînaient, plein de gens que j’aurais jamais connu si j’étais pas venu sur Paris. En ce qui concerne le contact avec la scène militante, j’ai mis du temps. Au départ c’est plus du feeling avec les gens. (…) Il y avait une ancienne usine de meubles de cuisine, à Montreuil, transformée en centre culturel autonome, un peu calqué sur les centres sociaux italiens. Il y avait un collectif résident, et les gens de passage. Au dernier étage on avait aménagé une salle pour les cours de Boxe, de Boxe-Thaï.

Il y avait des salles pour les mecs qui graffaient, pour les réunions antimilitaristes. Et au sous-sol il y avait une salle de concert. Il y a eu des gros trucs, les Bérus, les LV88, La Souris. Tu ne venais pas aux concerts de l’Usine juste pour consommer de la musique. Tu venais aussi pour baigner dans ce milieu, où tu côtoyais des mecs qui avaient déjà fait de la taule pour les actions, d’autres qui étaient passés à la clandestinité. Tu n’y participes peut-être pas forcément de manière très active, mais ce te forge le caractère et tes opinions.
L’aventure de l’Usine s’est terminée lors d’un concert de La Souris Déglinguée. La mairie communiste de Montreuil a fait murer le squat, après que les musiciens ont fait les balances. Résultat, à l’heure du concert, tout le monde commence à démurer pour rentrer. Les flics sont arrivés et la chasse aux punks a commencé. Il y a eu une « Une » légendaire du Parisien avec en titre « 200 punks attaquent la police », et des photos de keupons en train de jeter des pierres sur les cars de flics. C’était une émeute de dingues. J’avais 15 ans et ça m’a marqué, ça correspond à mon entrée sur la scène alternative parisienne. Dans les faits, c’était la fin de toute une période pour les squats. Après la scène alternative, elle sera surtout musicale. Pour moi, ma vie militante, elle a commencé quand toute la vague autonome des années 1970, celle qui a hésité à passer à la lutte armée, s’est éteinte.
Comment vous-êtes vous politisés ?
Je dirai que je me suis politisé comme j’ai pu. A la même époque où je traînais à l’Usine, j’ai commencé à intéresser le PC de ma ville. Je sortais un peu du lot, j’étais le jeune qui bougeait sur Paris, qui allait à des manifs. Assez rapidement j’ai rejoint le PCF. Je ne regrette pas, parce que j’ai côtoyé des gens sincères, on a fait des trucs supers, comme empêcher des expulsions dans les cités. Et puis j’étais le pur produit de la mairie communiste de Fontenay. Né à Fontenay, je suis parti en colo à Fontenay, puis je suis devenu animateur à Fontenay pour ensuite finir directeur de colo à Fontenay.

A l’époque pour moi en dehors du PCF il n’y avait rien. Et à côté de ça je continuais à militer pour l’antifascisme radical, la nuit sur Paris. Et quand ça a commencé à devenir sérieux avec les Red Warriors, qu’il y a eu des interpellations, des articles, ça a vite fait désordre. J’étais sur les photos et les tracts avec le maire, j’étais le responsable des Jeunesses Communistes du Val de Marne, le jeune mis en avant par la mairie : les gens n’ont pas apprécié que la nuit, avec des mecs pour eux pas fréquentables, je parte faire la chasse aux nazis dans les rues de Paris. En plus, je tenais un discours qui était pas forcement celui du parti.
Vous êtes issus de familles militantes ?
Mon père était un immigrant hongrois, peintre en bâtiment, payé à la pièce. Assez souvent on allait bosser avec lui, pour gagner plus d’argent. Ma mère, juive hongroise, était femme au foyer. Mes parents se sont séparés très tôt. Pour ma mère mai 68, elle savait même pas que ça s’était passé. Elle s’est politisée super tard, dans le milieu des années 70, avec la fin de la vague hippie. A 5-6 ans je me suis retrouvé en communauté. Au final elle s’est présentée aux municipales à Fontenay sur la liste du PSU .
Vous pouvez nous parler des Red Warriors ?
Les Red Warriors, c’est arrivé vers 1986. C’est une période où la majorité du mouvement skin français est nationaliste ou faf. 99% des skins que tu croises à cette époque dans la rue, ils ont des croix celtiques, des drapeaux français, des croix gammées. Tu avais des quartiers entiers de Paris, où pour les punks, c’était zone interdite : Saint-Michel, le Quartier Latin, les Puces de Clignancourt, le XVe, Tolbiac, Les Halles.

Quand tu étais keupon dans ces années-là et que tu étais looké, c’était déjà pas évident, tu étais une cible pour pas mal de monde. Alors si tu croisais une bande de skins, t’étais certain de te faire défoncer. Par rapport à ça on est un certain nombre à en avoir marre de devoir faire des détours pour se déplacer dans Paris pour éviter les embrouilles. Et avec Jeff, on décide de se prendre en main. Lui était de Nogent-sur-Marne et moi de Fontenay. On traînait pas mal ensemble, même si Jeff était un peu plus vieux que moi. A plusieurs occasions on avait fait courir les fafs dans des embrouilles. Lui était déjà skin, alors que moi j’étais une espèce d’alternatif à casquette et docs coquées. L’idée c’était de s’organiser un minimum, trouver des mecs qui étaient prêts à aller au carton face aux fafs. Rico nous a rejoint assez vite, on le connaissait de l’Usine. Peu à peu, la bande s’est construite par lien affinitaire et cooptation. La plupart des Red Warriors étaient tous plus ou moins des familiers de l’Usine. A la fin des années 1980 on était 14 « officiels ».
On s’est appelé les Red Warriors, parce qu’à l’époque, ce que les fafs semblaient détester le plus c’était le communisme. D’où une surenchère de notre part dans les oripeaux et le folklore soviétique. Et puis il fallait bien qu’on se démarque des fafs, parce qu’à part la coupe de cheveux (on se laissait un petit peu de cheveux sur le dessus), on ressemblait à n’importe quel skin (bomber, jean, docs coquées). Après, d’authentiques marxistes-léninistes dans la bande, il n’y en avait pas. Mais le nom est resté, parce qu’encore aujourd’hui les fafs et les apos nous disent « vous, les reds. ». (…)
On avait tous des conceptions différentes des choses, mais là il n’y avait pas de discussion possible, c’était l’antifa radical. L’action fondatrice du groupe, on était sept, ce n’était pas brillant, on s’est tous fait serrer. Rico a pris 1 mois ferme. C’est vrai que des fois, c’était fait un peu à l’arrache, mais d’habitude on mettait en place un minimum de stratégie, avec l’aide de quelques anciens dans la bande qui avaient l’habitude de ce genre de chose. L’idée c’était de repérer les bandes de skins (Pasteur, Tolbiac…) ou les lieux qu’ils fréquentaient. On fonctionnait par petits groupes de trois ou quatre, qui traînaient dans Paris. Chacun de son côté repérait des objectifs, on préparait la descente et on tombait sur les fafs.
Le fait de faire des actions carrées à plus d’une dizaine, et ensuite de chasser du faf par petits groupes, ça donnait l’impression aux fafs que les Red Warriors, ils étaient partout et qu’ils étaient super nombreux. Les mecs en face paniquaient, parce que personne savait où on traînait, qui on était. On était un peu un fantasme. A ce moment là en face de nous il y a les JNR de Batskin, la Division Saint-Georges, le PNFE , les restes de la FANE , la bande de Juvisy. C’est des mecs qui ont fini pour certains comme mercenaires en Croatie ou en Afrique.
Moi, à l’époque, j’avais à peine 20 ans et j’avais dans l’idée que plus on pouvait toucher de monde, informer de gens, plus on ferait avancer la cause. L’idée c’était pas juste de casser du faf à coup de barre, c’était de dire aux gens qu’il fallait réagir. Et pour ça j’étais prêt à utiliser les médias. En ça je m’opposais un peu aux autres, qui pensaient qu’on avait pas besoin des médias pour faire avancer notre combat. Aujourd’hui, je les ai rejoins sur ce point.
En ce qui concerne les flics ça se passait comment ?
On peut dire qu’on l’a senti passer. Heureusement pour nous à la même époque, les Renseignements Généraux et les flics avaient des groupes et des mecs qui les inquiétaient beaucoup plus que nous. Mais , il y a eu des blessés graves, et de nombreux mois, d’années de prisons pour ports d’armes, violence. Certains ont été clandestins pendant quelque temps.
Ça s’est terminé comment les Red Warriors ?
Au fil du temps on s’est tous plus ou moins éloignés, mais on a eu un tel vécu pendant ces années, que lorsqu’on se recroise, c’est comme si on s’était quitté la veille. C’est passé de gang de rue à la fratrie. On est tous en contact plus ou moins. Malheureusement il y a déjà des morts.

Retrouvez l’interview complète (dans laquelle intervient aussi Rico, des Red Warriors) dans l’ouvrage Comme un Indien métropolitain aux éditions No Pasaran (le livre est épuisé mais il en reste quelques exemplaires à la librairie Libertalia, à Montreuil).